Avec Summer Palace (Une jeunesse chinoise, en français), Lou Ye dépeint une génération entière, celle de la jeunesse de 1989, ayant soif de nouvelles idées et éprise de liberté, la génération Tian An Men en somme. Le spectateur marche alors dans les pas de Yu Hong, jeune fille originaire de Tumen, dans une province rurale du Nord-Est de la Chine. Elle laisse derrière elle tout un pan de sa vie, sa famille, son « premier amour » et part étudier à Beijing, le Pékin d’aujourd’hui.
L’arrivée dans la grande ville est superbe. Lou Ye réussit pleinement le pari de nous faire ressentir l’effervescence qui y règne, nous confrontant ici à toute une génération en pleine découverte et apprentissage de la liberté, nouveau sentiment qui les transporte. On a l’impression qu’ils ont l’envie constante d’apprendre et de débattre. C’est une découverte permanente qu’ils sont en train de vivre, aussi bien au niveau intellectuel que sentimental, et même sexuel.
La mise en scène et le choix des personnages traduisent très bien toutes ces sensations, et surtout leur force. Nous sommes littéralement plongés dans ce tourbillon d’idées et de sentiments qui ne cessent d’affluer. On se sent comme porté par cette envolée lyrique pleine de poésie ! Chacun des personnages gravitant autour de notre héroïne a son caractère bien marqué et se définit donc de manière particulière face aux événements de l’époque. Quant à Yu Hong, on le voit tout au long du film, elle vit dans un monde bien à elle, souvent en décalage avec la réalité. C’est la force de ses sentiments et de ses pulsions, qu’elle ne sait maîtriser, qui l’y contraint.
En ce qui concerne les évocations de la libération sexuelle, Lou Ye marque aussi un grand coup. Elles sont très nombreuses, notamment entre Yu Hong et son véritable grand amour Zhou Wei, et leur intensité érotique très forte. Avec les thématiques de Tian An Men et du sexe, on peut dire que Lou Ye aborde dans son film deux grands sujets qui dérangent le pouvoir chinois en place. Ceci vaut au réalisateur d’être banni de Chine durant 5 ans, la censure étant encore très présente et sévère dans le pays. Dur de s’exprimer en Chine pour les cinéastes de la « sixième génération »…
Cette volonté de dénonciation apparaît comme une véritable force, plus particulièrement hors des frontières chinoises. Lou Ye souhaite dresser ici un portrait véritable et véridique de la génération Tian An Men, et c’est tout à son honneur. Malheureusement, le film est en quelque sorte scindé en deux et l’intensité de la première partie n’a pour partenaire que la lenteur et une certaine lassitude dans la deuxième. Le film bascule alors et perd peu à peu de sa saveur, de sa ferveur et de son intérêt. L’idée de montrer l’avant, le pendant et l’après Tian An Men est en soi plutôt bonne. Mais la façon dont l’après est abordé ne réussit pas à captiver. Lou Ye s’est lancé un défi bien difficile à relever car le moment clé du récit se trouve au milieu de son film, au moment où éclatent les événements de juin 1989, passage le plus intense du récit ; la suite est donc délicate à mener et à mettre en œuvre. Le scénario perd son souffle au fil du temps. Les personnages suivent leur route sans que l’on cerne avec précision comment et à quel point ils ont été marqués par les épisodes douloureux de Tian An Men. Yu Hong, elle, se perd dans une succession de désillusions amoureuses, dans lesquelles elle semble se chercher mais où elle ne se trouvera finalement jamais.
La révolution n’aurait-elle donc servi à rien ? Ces idées nouvelles n’auraient-elles donc germé que pour s’évanouir ? L’espoir serait-il réellement vain ?