Trahir

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Décembre 1959, un poète roumain sort de prison, 12 ans après son arrestation pour être devenu > en ayant publié un article contre le régime. Pour retrouver la liberté, il est contraint de devenir > du régime en livrant sa plume à la dictature stalinienne. Il trahit sa patrie et son âme au prix de […]

Décembre 1959, un poète roumain sort de prison, 12 ans après son arrestation pour être devenu << ennemi du peuple >> en ayant publié un article contre le régime. Pour retrouver la liberté, il est contraint de devenir << otage >> du régime en livrant sa plume à la dictature stalinienne. Il trahit sa patrie et son âme au prix de la liberté, c´est-à-dire sa vie.

Radu Mihaileanu, réalisateur de Va, Vis et deviens (César du meilleur scénario en 2006) et de Train de vie, offre avec Trahir un film âpre sur le pouvoir de l´écriture, la censure et le sacrifice de la vie au prix de la liberté.

Le film s´ouvre sur un garçon courant dans un champ de blé, un carnet de poèmes à la main. Sur ces images lyriques filmées au ralenti, une voix-off grave et amère raconte l´espoir naïf de cet enfant avide de liberté, puis finalement de ses désillusions : << Je pensais qu´il suffisait d´écrire des poèmes et les laisser flotter sur l´eau afin que les vers atteignent l´océan, l´éternité, les hommes. Je ne savais pas qu´un jour on allait m´arracher mes poèmes au prix de la honte. >> Mystérieuses, ces paroles ne le restent pas longtemps. En deux phrases, le protagoniste renvoie aux thèmes du film : l´écriture détournée de son sens premier (artistique), comme arme de propagande politique.

Après le générique et ce prélude, les vingt minutes suivantes sont à la limite du supportable. Le spectateur découvre un prisonnier juif, enfermé depuis 12 ans. Visage émacié, ridé et marqué par un emprisonnement à l´abri de la lumière, dents déchaussées et regard hagard, il marque l´esprit par son teint pâle et renvoie à une vision d´horreur. Homme sans liberté, il est déshumanisé. Ecrivain sans plume, il est vidé de son âme. En quelques minutes, Radu Mihaileanu nous rappelle l´immoralité des régimes staliniens, la souffrance et les conséquences de l´absence de liberté et de droits d´expression. Plus indignes sont alors les images de cet homme, restreint à << l´écriture artificielle >> sur les murs de sa cellule. Dernière tentative de résistance. D´entrée, le réalisateur frappe les esprits et réactive nos mémoires. L´émotion est d´autant plus abrupte qu´elle fait suite aux paysages ocres de l´enfant rempli d´espoir et encore libre. Entre présence et absence de liberté, il n´y a qu´un pas.

Dans la Roumanie soviétique des années 60, reconnaissable au béton érigé sur les terrains vagues, la misère et la précarité de la vie, le spectateur suit le retour à la réalité d´un écrivain. Bien qu´il ait désormais le droit d´utiliser sa plume, sa liberté d´écrivain n´est qu´un leurre et sera atteinte à jamais. Il est contraint de livrer son écriture au pouvoir politique. Toutefois, il réussira à manipuler à son tour en écrivant des livres subversifs et des numéros de clowns pour enfants. Il chante, par métaphore, la situation politique de son pays : << Il était une fois un grand méchant loup, qui tuait son peuple de son mauvais goût >>. Cette trame n´est pas sans rappeler La Vie des autres de Florian Henckel von Donnersmarck, oscar du meilleur film étranger cette année. L´écriture devient arme de propagande politique, art manipulateur et également mémoire pour la postérité. Le spectateur peut alors constater les forces et les faiblesses de la littérature.

Alors qu´on pouvait s´imaginer un film dénonçant uniquement l´idéologie stalinienne, le réalisateur donne un réel potentiel scénaristique au film. On suit le protagoniste livré à lui-même dans sa quête de liberté, protégeant sa famille. Mais l´intérêt réside, comme le titre l´indique, dans la honte et dans la trahison envers son pays et envers lui-même. Pour sa survie et celle de sa famille, il n´a pas d´autres choix que de devenir esclave du gouvernement.

L´intrigue, le suspens et les retournements de situation ne sont pas absents, ce qui évite la plongée dans un film purement engagé. Le jeu des acteurs est saisissant, ils nous touchent et rendent le film d´un réalisme et d´une persuasion inquiétants. Servi par une réalisation sobre, sans fioritures ni effets visuels, le réalisateur maîtrise un film profond et bouleversant sur l´atteinte à la liberté, unique moyen de vie pour l´homme.

Les bonus du DVD sont complets et intéressants. Un reportage propose les réactions de 18 personnalités du cinéma dont Ariane Ascaride, Costa Gavras, Thierry Cheze, Albert Dupontel,… tous surpris par la maîtrise formelle et bouleversés par le portrait de cet écrivain sous cette dictature. Le plus touchant et explicatif de ce premier film reste l´entretien avec son réalisateur ; il revient sur son adolescence en Roumanie sous le régime de Ceaucescu, sur l´absence de démocratie, sur le regard des dirigeants européens qui ont découvert tardivement la dictature de Ceaucescu et enfin sur son exil vers la France. Pays rêvé où il a découvert la liberté mais aussi l´indécence face à la richesse. Il conclut, par un regard sur son travail de cinéaste, la reconnaissance qu´a connu Trahir.

Tous ses films traitent de la liberté, la nationalité et la croyance en l´homme. Enfin, le film vu par l´équipe, un petit documentaire sur le tournage de Trahir à Bucarest et, plus précisément, le choc du retour de la statue de Lénine sur la place principale viennent conclure ces bonus.

Titre original : Trahir

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Durée : 103 mn


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