Ce sont les paroles qu’aurait très calmement prononcées Darren Aronofsky à Mickey Rourke au début de leur collaboration sur The Wrestler. Ce à quoi Mr. Rourke aurait répondu : « T’as des couilles. Je te suis ». Grand admirateur du Raging Bull de Martin Scorsese, Aronofsky aurait apparemment voulu signer un film de combat depuis bien longtemps et aurait imaginé l’histoire de The Wrestler à la sortie de ses études de cinéma. Le synopsis en question sera celui d’un vieux catcheur, Randy « the Ram » Robinson, arrivé en bout de course, renié par sa fille et son public et atteint d’une maladie cardiaque. Après que son projet de The Fighter (un film de boxe avec Brad Pitt et Mark Walhberg) soit repoussé aux calendes grecques, l’auteur de Pi, Requiem for a dream et The Fountain revient donc à cette première idée, dont le résultat s’avère particulièrement étonnant.
Le film débute avec un long panoramique sur des articles de journaux et photographies retraçant les heures de gloire de l’athlète/catcheur, accompagné d’un morceau de hard rock. Ce morceau est alors soudainement rompu par le râle étouffé d’un homme en train de tousser. L’image apparaît : le personnage principal, torse nu, est assis de dos sur une chaise, recourbé sur lui-même, les cheveux sur son visage. Un carton indique : « 20 ans après…». Tout est dit : Le ton du film est donné et son personnage introduit. C’est en toute évidence au portrait d’un homme en bout de course et en quête de rédemption auquel nous allons assister. La première chose qui saute aux yeux (et que l’on louera particulièrement dans ce film), est l’absence de la patte visuelle du réalisateur auquel nous avons jusqu’alors été habitué. Certes nous pouvons identifier certains points communs avec ses précédents métrages dans le fond et la sensibilité, mais d’un point de vue purement formel, c’est la première fois que le cinéaste s’éloigne diamétralement de tout ce qu’il a pu faire auparavant. Dénué de tout forme d’artifice ou d’esbroufe visuelle (hormis éventuellement lors de la séquence finale du film), The Wrestler est découpé de manière très simple, presque entièrement filmé en caméra épaule et doté d’une image pâle, blafarde aux teintes froides. On est donc bien loin de The Fountain et on a en effet davantage l’impression d’assister à un film des frères Dardenne, avec Mickey Rourke à la place de Jeremy Renier dans le rôle principal. Outre l’audace du metteur en scène , on saluera son initiative de vouloir changer de style et de se renouveler en prouvant qu’il est capable de raconter une histoire à la fois simple, humaine et puissante.
Si le film est également une grande réussite, c’est bien évidemment grâce à la performance de Mickey Rourke. L’acteur de L’année du Dragon, Rusty James et Sin City sera rarement tombé sur un rôle aussi taillé sur mesure pour lui. Plus qu’un simple rôle, c’est toute la vie du comédien qui semble déployée face aux yeux du spectateur. Incroyablement touchant, la performance de l’acteur, aux allures de vieil ours blessé et fatigué, lui aura valu un prix d’interprétation plus que mérité à la dernière Mostra de Venise. Vient en outre se greffer au personnage une dimension christique (référence à travers les dialogues au début du film à La Passion du Christ, mais également lors de la séquence finale), qui devra se sacrifier afin de pleinement atteindre un certain état de grâce, moment où le personnage qui jusque-là n’était quasiment filmé que de dos, sera dès lors réellement filmé de manière frontale.
En somme, une bouffée d’air frais pour Darren Aronofsky qui jusque-là n’avait abordé que des sujets assez lourds, emprunts de mysticisme et d’ésotérisme, et qui collabore ici pour la première fois en binôme avec un autre scénariste (Robert Siegel). La question demeurant : le film est-il à la hauteur d’un Raging Bull ? Possible, en tout cas un duo d’acteur/réalisateur aura rarement aussi bien fonctionné depuis Robert De Niro et Martin Scorsese. Et dire qu’à l’origine Nicolas Cage était le préposé principal pour le rôle…