The Revenant

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A deux jours du lancement du Festival de Cannes, retour sur « The Revenant », dernier long métrage du Président du Jury du festival de cette année, le cinéaste Alejandro Gonzales Iñárritu.

Qu’il s’agisse de digresser sur la douleur dans 21 grammes (2003), sur l’ordre du monde dans Babel (2006), sur les sentiments dans Biutiful (2010), ou sur la putrescence de l’Homme et du tout Hollywood sur le mode néo-Sunset Boulevard (Billy Wilder, 1950) dans Birdman (2014), Alejandro Gonzáles Iñárritu le fait chaque fois avec emphase et fracas. Non content de toujours assener un regard voyeuriste confinant à la pornographie sentimentaliste, celui-ci se complait maladivement dans une hébétude mystique arty légitimée par une pseudo-réflexion ne revendiquant rien de moins que l’universalité. Exception faite, à chaque film, d’un casting de choix – quoiqu’aux sabots lourds – et d’une direction de la photographie brillamment tonitruante (Rodrigo Prieta, Emmanuel Lubezki), ne resterait finalement que peu de choses à sauver parmi les velléités de cinéaste grandiloquentes du Mexicain. Aussi peut-on à la rigueur lui accorder quelques moments de lucidité dans Amours chiennes (2000), et un certain à-propos tragicomique dans le joyeux foutoire tape-à-l’œil méta qu’est Birdman. Pour autant, difficile de se défaire de cette image suffisante de faiseur factice qu’Iñárritu conjugue malgré lui de film en film, en visionnant The Revenant. Tentons cependant d’y jeter un regard dépourvu, autant que faire se peut, d’a priori.
The Revenant se déroule pendant la première moitié du XIXe siècle dans une contrée d’Amérique du Nord profondément sauvage. Peu après avoir réchappé de justesse à l’attaque fulgurante d’une tribu d’amérindiens, Hugh Glass, un trappeur, et ses équipiers tentent de regagner sains et saufs leur province. Mais Glass est bientôt grièvement blessé par un ours, puis abandonné agonisant par les rescapés de son équipe. Bien décidé à survivre coûte que coûte, le miraculé entreprend un périple de 300 km pour se venger de ceux l’ayant trahi. Revanche qui va peu à peu se muer quête de rédemption. À bien des égards, la trame de The Revenant évoque celle du film Au-delà du Missouri (1951), de William A. Wellman. Tout comme Flint Mitchell, incarné par Clark Gable chez l’Américain, Glass s’est lui aussi jadis épris de la fille d’une tribu amérindienne, avec laquelle il eût un fils. Les deux longs métrages partagent une même fascination pour la nature, bien que leur ton soit très distinct. Impossible par ailleurs de ne pas noter une similitude assez nette entre The Revenant et Essential Killing (Jerzy Skolimowski, 2010), dont Iñárritu semble avoir adopté le lyrisme minimaliste. Sans compter une envie, certainement trop manifeste, de se faire une place dans la généalogie des films de l’impossible, à commencer par Aguirre, la colère de dieu (Werner Hersog, 1972), Fitzcarraldo (1982), La Porte du Paradis (Michael Cimino, 1980)  voire Apocalypse Now (Francis Coppola, 1979). On passera, enfin, sur les trop nombreuses similitudes avec Le Convoi sauvage (Richard C. Sarafian, 1971) et Requiem pour un massacre (Elem Klimov, 1985) – quid du regard caméra final, entre autres, tout simplement calqué sur le second ?

 

 

Inutile de tergiverser sur la question de la photographie : Emmanuel Lubezki, qui collabore pour la troisième fois avec Iñárritu (en comptant le segment Anna tiré du film à sketches Chacun son cinéma de 2007), fait comme à son habitude des merveilles. Au même titre que le directeur artistique Jack Fisk : les premiers plans-séquences de The Revenant lors de l’attaque du camp des trappeurs – épiques – sont splendides. Ceux-ci, filmés par l’itération 65 mm de la caméra numérique Arri Alexa, rappellent furieusement le travail des deux hommes chez Terrence Malick, notamment dans Le Nouveau Monde (2005), et dans une certaine mesure chez Alfonso Cuarón (Les Fils de l’homme, 2007). Se superpose à la mélancolie doucereuse, mais insidieuse, de la nature Malicko-tarkovskienne un voile bleuâtre sinistre à la Melancholia (Lars von Trier, 2011) – semblable au filtre verdâtre utilisé dans Les Fils de l’homme – laissant transparaître allégoriquement l’irréversibilité des fautes à expier. Un jeu sur la colorimétrie un peu vain mais néanmoins cohérent avec les enjeux dramatiques. Sans doute faudrait-il surtout s’attarder sur cet angle de prise de vue si singulier adopté dans The Revenant où les protagonistes, filmés en légère contre-plongée en plan rapproché, apparaissent pourtant enserrés dans un espace sur lequel ils n’ont aucune prise. Façon de signifier leur impérialisme outrecuidant et dans le même temps son imposture. Trop confiant en leur légitimité à jouir d’une terre qu’ils ne comprennent ni ne respectent, les hommes sont frappés par un souffle plus ou moins divin les décimant un par un. Là où Iñárritu s’évertuait laborieusement dans Babel à relier – pour ne pas dire enchaîner – tous les personnages issus de différentes cultures, c’est ici la nature – impitoyable et sanguinaire – qui gouverne chacun. Dans cet univers, tout le monde est toujours ou chasseur et/ou chassé. Les analogies avec le cinéma de John Ford et surtout La Prisonnière du Désert (1956) – mais en miroir inversé car il est question ici d’une tribu désireuse de récupérer l’une des leurs, kidnappée – ne manquent pas, héritage oblige. Quant à la manière dont sont dépeints les Amérindiens de The Revenant, elle emprunte le même registre manichéen d’antan et celui, plus romancé et mystique, de Danse avec les Loups (Kevin Costner, 1990).

 

Rompant avec la claustration chronique et la logorrhée incessante de Birdman, Iñárritu développe a contrario un monde totalement ouvert rythmé par le silence et la transcendance. Simpliste, la trajectoire de Hugh Glass sonne comme un parcours initiatique rédempteur où se télescopent la mort, la nature luxuriante – belle et impénétrable – et le désespoir. Voyage au bout des sens qui tient beaucoup du survival classique, mais auquel s’ajoute une dimension métaphysique et religieuse tenace. Peut-être davantage encore qu’à l’accoutumée, Iñárritu use et abuse des symboles, assimilant Glass à une sorte de Jésus-Lazare assujetti à la toute-puissance de la Nature et au pouvoir quasi céleste des natifs américains. Contrepoint maléfique oblige, John Fitzgerald (Tom Hardy) fait quant à lui office de Iago-Méphistophélès. On a connu plus inspiré. Si ce n’était la brutalité viscérale avec laquelle souffrance et initiation au monde sont mises en scène et incarnées – reconnaissons que leur texture et leur multiplicité parfois impressionnent – The Revenant tourne pour le reste trop souvent à vide. Même les innombrables clins d’oeil à la filmographie de Tarkovski, dont Iñárritu prélève ici quelques plans en version bodybuildée tirés de L’Enfance d’Ivan (1962), Le Miroir (1974) ou encore Sacrifice (1986), ne font qu’amplifier le sentiment d’un manque cruel d’inspiration. Alors peut-être faudrait-il applaudir son sous-texte seyant sur les Amérindiens, mais l’apostolat pathologique de l’ensemble laisse un arrière-goût désagréable. L’on préfèrera à ce titre le métadiscours de Tarantino dans Les Huit Salopards (2015), où plus un seul homme cette fois ne passe pour innocent et où l’idéal démocratique du melting pot américain vole en éclat comme un banal pot de bonbons. Un engagement louable et plus pragmatique à l’heure où Spielberg, dont le Lincoln (2013) conversait déjà avec Django Unchained (2013), continue envers et contre tout de porter aux nues les valeurs d’un héroïsme plus désuet (Le Pont des espions, 2015).

Titre original : The Revenant

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Durée : 156 mn


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