La suite plus tendre et délicate de « Distant Voices, Still Lives ».
Terence Davies concluait avec The Long Day Closes le cycle autobiographique entamé dans ces deux premiers films The Terence Davies Trilogy (réunion de ses trois premiers courts métrages en un seul film en 1984) et Distant Voices, Still Lives (1988). The Long Day Closes apparaît d’ailleurs comme le film jumeau de Distant Voices, Still Lives, dont il reprend la construction vaporeuse teintée de nostalgie mais dans une tonalité différente. Le film de 1988 explorait les souvenirs de Terence Davies dans un quartier de Liverpool sur une vaste période allant du Blitz à l’après-guerre et se concluant à la fin des années cinquante. The Long Day Closes se situe uniquement dans cette dernière période et s’avère nettement moins tourmenté que son prédécesseur. Celui-ci explorait une plus vaste gamme d’émotion par la nostalgie mais aussi la peur et la violence incarnée par la terrifiante figure paternelle interprétée par Pete Postlethwaite. Cette fois le passé, et surtout le cocon familial qui s’y rattache, constitue un vrai paradis perdu à raviver. La scène d’ouverture balaie ainsi dans un mouvement de caméra l’ancienne rue plongée sous une pluie nocturne avant de s’engouffrer dans l’ancien logis abandonné, signe de ce présent terne qui va s’estomper pour redonner à la demeure ses atours disparus. On y découvrir alors le jeune Bud (Leigh McCormack) double de Terence Davies demandant de l’argent à sa mère pour aller au cinéma. Une grande tendresse se dégage de la séquence, du gamin insistant doucement à la mère l’ignorant toute à ses tâches ménagères avant de lui délivrer le précieux sésame.
La caméra de Davies balaie les lieux avec lenteur comme pour s’en imprégner et la complicité unissant la mère et le fils s’exprime dans une sobre poésie (le drap lancé par la fenêtre échouant lentement sur la tête de la mère). Davies amorce chaque séquence familiale comme un tableau en soi, une photographie d’un souvenir, d’une époque de bonheur simple et d’insouciance. La manière d’introduire ces séquences obéit aussi à cet aspect de capture d’un moment fugace tel ce repas de Noël où des portes s’ouvrent comme une scène de théâtre pour accompagner le regard de Bud observant sa famille attablée et discutant. Une des images les plus marquantes du film sera aussi ce mouvement de grue laissant voir Bud entouré de sa mère et de sa sœur accoudés à la terrasse et émerveillés devant un film. Le cinéma est un vrai fil conducteur avec en toile de fond les dialogues de classiques américains sortis tardivement à cette période en Grande-Bretagne et ayant marqué le jeune Terence Davies comme Le Chant du Missouri (Vincente Minnelli, 1944 – superbe moment où un dialogue entre Judy Garland et un prétendant trouve son écho dans une scène amoureuse entre la sœur de Bud et son fiancé) ou La Splendeur des Amberson (Orson Welles, 1942). Cette cinéphilie se fait aussi par des références au cinéma anglais où les amateurs reconnaîtront aussi les succès populaire de l’époque comme Tueurs de Dames (Alexander Mackendrick, 1955), Noblesse Oblige (Robert Hamer, 1949) ou Private’s Progress (John Boulting, 1956). Ce cadre idyllique permet surtout à Davies de lancer un vrai cri d’amour à sa mère, si tendre, pétrie de bonté et à son écoute. Il faut voir cette superbe scène où Bud réveillé en sursaut par un cauchemar peut immédiatement se blottir dans les bras de sa mère le veillant, assise sur son lit. Ce sentiment d’amour et de protection n’a d’égale que l’insécurité et la violence qui le guette à l’extérieur.
Le père tyrannique de Distant Voices, Still Lives trouve son équivalent dans l’environnement extérieur et plus précisément l’école avec le châtiment corporel en guise d’apprentissage obligé (le coup de gabardine donné à toute sa classe dès le premier cours par un professeur pour signifier qu’il est le maître) et les maltraitances des autres camarades envers le trop paisible Bud. Davies offre ainsi un reflet de cette Angleterre d’après-guerre où les privations ont appris à s’affirmer dans la douleur, celle-ci devenant un passage obligé pour devenir un homme (le directeur laissant presque faire lors Bud est violenté par d’autres élèves). Cette souffrance ainsi que le mal-être et la solitude de Bud se ressentent de manière touchante dans des moments anodins (le final où il n’a pas d’ami pour l’accompagner au cinéma), le jeune Leigh McCormack étant très attachant. Le spleen croise donc constamment la quiétude dans un environnement gardant constamment sa dimension fugace dans l’illustration qu’en fait Davies avec cette photo diaphane, ses ralentis délicats rattachés aux moments d’évasion (la fête foraine, la camera suivant la lumière du projecteur, en plongée au-dessus des spectateurs) ou de communion collective avec toujours cette omniprésence du chant et de figure récurrente de Distant Voices, Still Voices avec le couple d’amis bougons. La sublime dernière séquence voyant la nuit tomber voit donc cette longue journée s’achever, ce voyage dans un glorieux passé arriver à son terme.
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