Alus, un jeune musicien urbain, retourne dans la steppe mongole, sa terre natale, pour accompagner sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Pour éviter qu’elle ne se perde, Alus est parfois contraint de l’attacher avec une corde. Ils entament ainsi un voyage à deux à la recherche d’un arbre légendaire, « yin-yang », lié à la mémoire et à l’identité.

Au cours de ce film se déroulant en Mongolie-intérieure, nous suivons Alus, un jeune chanteur s’accompagnant d’un morin khuur électrique (un instrument à deux cordes de la Mongolie dont l’extrémité du manche est traditionnellement ornée d’une tête de cheval sculptée), qui se produit à Pékin avant de recevoir un étrange appel téléphonique de sa mère. Après cet appel, Alus est convaincu que sa mère, atteinte d’un Alzheimer sévère et le reconnaissant ainsi de moins en moins, décide de se rendre en Mongolie-intérieure, chez son frère aîné et son épouse qui l’ont recueillie, mais la considèrent comme un fardeau et ne la soignant pas de manière adéquate. Le musicien va partir avec elle sur les routes des steppes mongoles en moto et side-car, à la recherche de son « chez elle », un endroit indéfini où elle désire se rendre, qui se concrétisera par la quête d’un arbre double, un arbre mort enlaçant un arbre vivant, et d’un refuge, telle cette maison isolée et abandonnée au cœur des steppes. Au cours de ce périple, Alus constatera que sa mère aura de plus en plus tendance à fuguer et commencera à l’attacher à lui avec une longue corde. C’est ce qu’on appelle le « cordon de vie ». L’expression peut évoquer un cordon ombilical inversé, car la mère d’Alus est désormais revenue à un état infantile et a ainsi besoin de l’attention de son fils, ou, de manière également allégorique, un lien qui rattache Alus à ses origines familiales et géographiques. Cependant, The cord of Life ne se limite pas à ce récit mère-fils. Alus souhaite au cours de ce road-movie original puiser son inspiration dans les sonorités traditionnelles des campagnes mongoliennes pour sa musique, afin de réinterpréter le passé pour l’époque contemporaine. Son interprétation via la musique électronique est présentée comme un moyen d’intégrer cette recherche artistique, d’enrichir sa propre musicalité en tant qu’interprète, et de lui permettre de toucher un nouveau public.

La réalisatrice Qiao Sixue, elle-même originaire de Mongolie-intérieure, semble particulièrement concernée par la question de la préservation des traditions. Son premier long métrage entièrement parlé en mandarin et en langue mongole, conçu après ses études de cinéma en France, est un film qui constitue une réflexion plutôt subtile sur la possible coexistence du passé et du présent, sur les notions de tradition et de modernité, dans une Chine où le luxe côtoie la pauvreté, et où les téléphones portables des spectateurs et les constructions des grandes villes s’effacent pour laisser place aux logements d’un autre âge et aux paysages de la steppe mongole. Nous voyageons alors, sans nous en être aperçus, dans plusieurs espaces et plusieurs temporalités, qui peuvent parfois, avec une dose d’humour se rejoindre, tel ce drone signalant à nos deux protagonistes qu’ils se trouvent sur une propriété privée, et ce lorsqu’ils se trouvent en Mongolie. D’autres liens, musicaux, se nouent pour rattacher et accorder deux époques, deux paysages, grâce aux instruments et aux compositions d’Alus au cours du voyage avec sa mère. Ces deux personnages, tout en silence et en gestes, sont interprétés avec une grande justesse par le musicien mongol Yider, et l’actrice mongole primée Badema. The cord of life est remarquable, par la diversité de ses qualités, outre celles évoquées dans ce texte, par la force de son récit, riche en métaphores, sa capacité à retranscrire le vécu d’individus d’origine mongole dans la Chine contemporaine, ou le filmage coloré et pictural des espaces (la maison-refuge) et des éléments parcourus (ciel, terre, feu, nuit, bois).

La caméra mobile de Qiao Sixue, vivante, empreinte d’empathie pour Alus et sa mère, nous emporte avec émotion dans ce film où nature, sentiments et mysticisme se rejoignent jusqu’au terme du voyage, sans s’alourdir sur son symbolisme. Une œuvre où nostalgie, musique et même humour (la scène avec le camion donne une touche quasi-surréaliste bienvenue au registre sérieux qui domine le long-métrage) procurent aux spectateurs un bain de jouvence dans le cinéma contemporain.




