« Pour une fois qu’un Turc aide un Arménien ». Cette phrase résume toute la tentative de Pascal Elbé : aller à l’encontre des clichés et des stéréotypes. C’est aussi une des seules scènes de Tête de Turc où il s’autorise une incursion dans l’actualité. Paradoxalement, c’est l’actualité qui est à l’origine de ce film. Et plus particulièrement la rubrique fait-divers, certaines affaires (le meurtre d’Ilan Halimi, le procès des incendiaires de Mama Galledou à Marseille) ayant suffisamment retenu son attention pour lui donner envie de passer derrière la caméra. Á l’écran, cela donne un film entrecroisant les destins de plusieurs personnages, dont celui de Bora, adolescent qui, au cours d’une intervention policière musclée dans sa cité, jette un cocktail molotov sur la voiture d’un médecin du SAMU avant de sauver ce dernier quelques minutes plus tard.
Porté par une saine envie de compréhension, Elbé, acteur de comédies mais aussi scénariste de Mauvaise foi et de 3 amis, suit le parcours de ce personnage sans se faire juge ni avocat de la défense. Bien qu’il se soit particulièrement documenté pour traiter son sujet, harcelant flics, avocats, et municipalités durant des mois, il évite le film à thèse, écueil dans lequel il aurait facilement pu tomber. Son scénario respire au contraire une forte envie de cinéma. Ce n’est pas pour rien que ses influences sont plus à chercher Outre-Atlantique qu’en France, dont le cinéma ne semble pas beaucoup l’intéresser. Pascal Elbé aime le Martin Scorsese de Taxi Driver, celui qui pouvait décrire son époque (les années 70) sans négliger de faire du cinéma. Il aime aussi le thème de la famille chez Coppola (et comme Coppola se créait des albums de famille en castant ses enfants dans les Parrain, Elbé fait jouer le rôle du petit frère de Bora à son propre fils). Les deux cinéastes ont en commun d’avoir fait des films sur des communautés – italienne, mais aussi irlandaise chez Scorsese.
Elbé ne parle pas d’une communauté mais de plusieurs. Et il prend le pari avec ses acteurs de mélanger les origines : Roshdy Zem interprète un flic arménien, frère du médecin sauvé par le jeune Turc, lui-même joué par Samir Makhlouf, d’origine algérienne. L’idée vaut pour le fond, qui présente un visage de la France plus melting pot que jamais. Elle est surtout judicieuse sur la forme. Simon Abkarian et Ronit Elkabetz complètent une distribution de "gueules de cinéma" face à laquelle il est difficile de bouder son plaisir. Lui-même comédien (il joue ici le médecin), Pascal Elbé se révèle fin et convaincant en directeur d’acteur. C’est un peu moins le cas au niveau de la réalisation. Entamée nerveusement, elle ne trouve pas toujours son rythme et séduit moins par la suite. Parfois chichiteuse, elle enfonce le film dans une torpeur monotone. Surtout, les personnages ne se sortent jamais totalement de la mécanique du scénario et peinent à acquérir une existence. On aurait par exemple aimé en savoir plus sur ce veuf interprété par Simon Abkarian, comme toujours impeccable. Film choral qui se voudrait à la jonction du cinéma d’Iñarritu et de Collision de Paul Haggis, Tête de Turc aurait pu être un polar audacieux, à l’heure où le cinéma français redécouvre le genre. En l’état, il révèle un premier essai sincère mais moyen. Suffisamment prometteur toutefois pour donner envie de suivre les prochains projets de Pascal Elbé.