Soy nero

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Rafi Pitts filme l’existence transparente d’un jeune Mexicain désirant déséspérement se faire une place aux Etats-Unis.

Nero court, Mexicain insignifiant aux yeux du pays où il a grandi, les États-Unis, et dont il s’est vu bannir faute d’y être entré légalement. Le jeune homme prend ses jambes à son cou pour braver les frontières, les contrôles, se soustraire à l’expulsion. Autant d’autoroutes, de barrières, de lignes horizontales et verticales qui marquent cet emmurement séparant la frontière américaine du Mexique, où un ballon de volley passe d’un côté à l’autre du mur plus aisément qu’un homme. La frontière, ce mythe antédiluvien américain, est représentée ici dans son implacable violence grise, bétonnée, capitonnée de barbelés, dans des plans fixes sans lissage. Sa place dans le récit cinématographique est plurielle : elle est le nœud de l’histoire individuelle et collective des immigrants illégaux comme Nero, elle s’impose dans le cadre, le repousse, exprimant l’agression stupéfiante à l’œuvre dans cette séparation, et rappelant de façon souterraine les enjeux qu’elle pose politiquement. Car ce que renvoie ce paysage gigantesque, c’est avant tout la diminution (dans tous les sens du terme) des individus qui y gravitent tout en y étant exclus, chassés, en exil ; condition que Rafi Pitts, déjà réalisateur de The Hunter (2010), connaît bien, étant lui-même privé d’un possible retour dans son pays, l’Iran. Si Nero cherche à se faire une place en bravant un espace divisé et circonscrit, c’est au contraire dans un horizon qui apparaît sans limite, dans lequel il court pour fuir.
 
 

 

À l’instar du beau documentaire que Chantal Akerman consacrait aux allées-venues de mexicains autour de cette même frontière, De l’autre côté (2002), le cinéaste filme moins un spectacle que le désastre glaçant à l’œuvre dans cet emmurement. Même les feux d’artifices produits aux alentours de la frontière par des américains pour célébrer la nouvelle année n’apparaissent que comme une étincelante menace, qui n’altère en rien l’austérité insécurisante des hauts murs qui sédimentent le territoire. Lorsque Nero parvient à pénétrer aux États-Unis et retrouve son frère devenu domestique dans une immense villa digne de celles que l’on s’imagine habitées par des stars de Beverly Hills, les délimitations du lieu marquent également une frontière évidente, faite de multiples digicodes et de portails en fer d’une hauteur décourageante. Dans De l’autre côté, Chantal Akerman scrutait sans relâche cette division d’un monde, la forme de beauté d’un lieu, entaché par les constructions sécuritaires qui l’abîment, autant qu’elles abîment les êtres qui veulent s’y mouvoir, leur détermination et persistance imperturbables en dépit d’obstacles rendus de plus en plus difficiles à franchir.

Cette inflexibilité caractérise Nero, qui ira jusqu’à s’engager dans l’armée américaine dans l’espoir de se voir délivrer une carte de résident permanent. C’est ce que proposait un projet de loi américain au nom honteux, le "Californian Dream Act", à des mineurs entrés illégalement dans le pays. Cette loi, qui sera finalement refusée, aura pourtant enjoint les green card soldiers à s’enrôler pour éviter l’expulsion, avec pour seule garantie d’obtenir reconnaissance à leur retour du front ou à leur mort. Une scène témoigne de cette ignominie : lors d’un enterrement d’un mexicain tué au front, les autorités américaines remettent à sa famille des « papiers posthumes »… À l’image de cette identité enfouie, dont l’appartenance à un lieu – les États-Unis – pourtant désespérément voulue, procède d’une disparition, Soy nero exprime, sans démonstration ni manichéisme, l’exil d’un humain désiré nulle part ; caméra arrimée à une architecture mastodonte, captant des silhouettes fugitives, chevillée à elles, points même plus visibles au détour d’un checkpoint.

Titre original : Soy Nero

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Durée : 117 mn


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