Sous toi la ville

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Portrait d’époque lourdement stylisé, le troisième opus du prometteur Cristoph Hochhäusler n’est malheureusement pas à la hauteur de ses ambitions.

La vision du Bois lacté (2003) et celle de L’Imposteur (2005), premier et second long-métrage de Christoph Hochhäusler, augurait de belles promesses : le jeune cinéaste allemand y faisait la preuve d’une grande finesse dans la perception de notre époque par l’affirmation d’un style toujours à la frontière du conte, cultivant une fascinante étrangeté. Dans Sous toi la ville, l’étrange devient chic, et le regard superficiel. Une vraie déception.
C’est dans les grandes tours de verre de Francfort que s’incarne l’univers de la banque qui sert de cadre au film. D’emblée, la caméra déréalise ce monde. L’image privilégie les sens. Entre apesanteur et vertige, elle nous fait basculer dans l’anticipation. Ce n’est plus tout à fait notre monde, c’est son double monstrueux qui ressort et se met à exister à l’écran. L’ambition est grande, et l’entrée en matière vraiment réussie. Le problème, c’est que la suite se contente de faire durer ces acquis, de capitaliser en somme, étirant inutilement un récit dont les enjeux ne prendront jamais, à la manière d’un court-métrage un peu trop gonflé. Avec une certaine classe, certes, mais qui n’efface pas le caractère artificiel de la chose.
 
Depuis son bureau installé au sommet de sa tour de verre, le banquier Roland Cordes prépare une O.P.A. (opération publique d’achat) sur une société plus modeste, laissant présager de conséquences sociales désastreuses. La réussite de cette entreprise doit assurer à la sienne une domination au niveau national. Les réunions du conseil d’administration alignent des figures monstrueuses, démons qui semblent se préparer à prendre possession du monde pour y faire régner la terreur. La crise récente nourrit ainsi le film qui se charge en même temps d’un imaginaire fictionnel particulièrement fort et séduisant.

Le problème sera, là encore, une certaine satisfaction du film à se contenter de moments qui fonctionnent, mais sans faire oublier les trous entre ces moments. Un remplissage d’inutile qui dégonfle le récit et donne au film un air poseur. On pense notamment à ces scènes qui semblent plaquées arbitrairement, dans lesquelles on nous montre le banquier assistant, sans doute pour son plaisir personnel, aux injections d’un héroïnomane. L’étrangeté se trouve prise dans un goût pour l’élément bizarre ainsi que pour la belle image, mais sans que ceux-ci parvienne à incarner quoi que ce soit.

Le moteur narratif du film est l’histoire d’une passion qui s’impose et se vit avec une certaine brutalité entre le banquier Roland Cordes et la femme d’un de ses employés, qui travaille quelques étages en-dessous de son bureau. Il se débrouille pour faire expédier celui-ci en Indonésie, sous couvert de promotion, en remplacement d’un autre employé assassiné en raison du mécontentement social provoqué par les agissements de la banque. C’est là le plus gros point faible du film. Cette histoire ne parvient en effet jamais à s’accorder avec l’univers présenté par ailleurs, en témoignent les chassés-croisés assez répétitifs entre les deux personnages, dont une poursuite à la fin du film, qui nous détournent du sujet,et n’aboutissent à rien. Les derniers plans ouvrent sur le chaos. Par la fenêtre on entend les cris de gens descendant dans la rue. On avait compris, bien avant cela, de quelle dimension apocalyptique le cinéaste projetait de charger son film. Ses choix narratifs font néanmoins ressortir le sentiment que l’évanescence qui affecte le traitement de ses situations (on doit avoir l’impression que tout se déroule comme dans un mauvais rêve) relève trop souvent de la solution par défaut. Ou de la pose. Dommage.
 

Titre original : Unter Dir die Stadt

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Durée : 110 mn


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