On retrouve sa signature si reconnaissable entre toutes, le cadre de la Finlande avec sa froideur, ses personnages excentriques, ses hurluberlus chanteurs, sa mélancolie latente et, tout de même, toujours, cette ténacité à s’arrimer à la vie, aussi absurde ou difficile soit-elle.
Le réel, pourtant, avec sa violence – des massacres en Syrie comme de la bureaucratie finlandaise – se fait bien tangible. Khaled a quasiment perdu toute sa famille, mais pourtant il continue – à y croire, à espérer et à travailler dans un restaurant que reprend Wikhström qui, toutes proportions gardées, commence lui aussi une nouvelle vie. Deux solitudes se rencontrent.
La charge tragique du film se trouve compensée par un humour truculent, parfois désespéré, étonnant et têtu, comme lorsque Wikhström et ses comparses décident sur un coup de tête de se reconvertir dans la cuisine japonaise, tenues folkloriques et wasabi abondant à l’appui. Le saumon vient cependant à manquer et ne reste plus que du hareng…
Dans l’économie du récit et des dialogues le film s’avère aussi impressionnant de maîtrise : pas un gramme de trop dans les actions dépouillées au possible. Un sommet se trouve atteint peut-être lors du saisissant début, muet pendant cinq bonnes minutes, et dans lequel Wikhström signale à sa femme et son départ et son divorce en déposant sur une table devant sa femme clé et anneau. Une fois seule la femme jette la bague dans le cendrier, écrase sa cigarette dessus et, sans un seul mot, tout est dit.
Par ces passages de silence la parole, quand elle intervient, se trouve d’autant plus mise en valeur. Lorsque Khaled raconte son parcours au bureau d’immigration d’Helsinki, le cadrage fait la part belle au visage sans interférences ni moitié d’épaule parasite, la caméra prend le temps de le regarder et de saisir son long récit qui, par contraste, fait d’autant plus d’effet. Engourdis – par le froid peut-être –, assez déprimés – par, sans doute, l’absence fréquente de soleil – les Finlandais de Kaurismäki ne sont pas de grands bavards. Les plus farouches d’entre eux s’expriment plutôt par des coups. L’humanité cependant de Wikhström ou même de son personnel, quand elle affleure, se révèle d’autant plus bouleversante qu’aucun effet ne vient la grossir ou la surligner, ni musique surajoutée ni gros plan ni rien d’autre…
Les bonus contiennent un entretien sur France Inter où Laure Adler revient avec Kaurismäki sur son parcours et sa biographie, ainsi que quatre chansons inédites.