Soldat de papier, c’est le titre de cette chanson russe sur un soldat qui s’est brûlé en voulant changer le monde… Dania, lui, s’est cramé à vouloir toucher les étoiles. Le protagoniste du film, Daniel Pokrovski de son vrai nom, superviseur pour l’entraînement des cosmonautes, est un simple médecin. Pourquoi simple ? Parce que Alexeï Guerman Jr. a délibérément choisi de réduire en cendres le mythe de la conquête spatiale, d’abattre les grandes statues héroïques pour exposer les hommes ordinaires cachés dans leur ombre.
Si Youri Gagarine n’est qu’un personnage secondaire, Dania, lui, est l’anti-héros vulnérable, tiraillé entre deux femmes. L’une, Nina, incarne la vie douce, heureuse et insouciante qu’il aurait pu avoir – bébé, datcha, etc. L’autre, Vera, représente son attachement à la science, auquel il s’est offert pieds et poings liés, conscient des risques encourus par ses hommes. 1961 : le compte à rebours de son implosion a commencé. Staline est bel et bien mort depuis huit ans, mais son fantôme rode encore dans les étendues de vase boueuse qui leurs servent de base de lancement. La Russie a besoin d’un nouveau dessein : le ciel fera office de trophée.

Les tableaux d’une élégance romantique et d’une beauté allégorique souvent marquantes, ou encore ces extravagants cosmonautes en combinaison pataugeant dans un no man’s land de gadoue, ne suffisent toutefois pas à donner corps à ce film noyé dans des dialogues stylisés au point d’en devenir péniblement empruntés. L’emphase lourdement chargée en symboles, et qui passerait très bien dans une pièce de Tchekhov, se boursoufle à l’écran jusqu’à explosion de l’harmonie d’ensemble. En résulte la sensation d’une course à l’effet le plus pompeux. Chaque geste devient prétexte à dissertation, comme, par exemple, cet irrépressible besoin de faire de la bicyclette, relique dérisoire d’une technologie vieillote, renvoyant aussi probablement à l’enfance ou la folie (le petit vélo dans la tête?), mais qui tombe trop souvent comme un cheveu sur la soupe. Le revers de la médaille : on finit par ressentir la somptueuse mise en image comme une pose artificielle emplie d’autosatisfaction.
Faute de pouvoir s’arrimer à cet exposé brouillon, on reste donc spectateur de cette ébauche de récit, peut-être métaphore de notre incapacité à édifier de nouveaux mythes ou à rebâtir de grandes épopées. A l’image, finalement, de la pragmatique Nina, qui, dix ans plus tard, pense toujours et avant tout à réparer son parapluie. Si c’était son but, alors Alexeï Guerman Jr. a réussi à élever une bien jolie ruine.