Scanner Darkly

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Dans les années 70, l´auteur de science-fiction américain Philip K. Dick vit reclus dans sa maison, dont les fenêtres ont été peintes en noir, entouré de > en tout genre qui passent leurs journées à se >, à dormir et à discuter de tout et de rien, enfin surtout de rien. A cette époque, la […]

Dans les années 70, l´auteur de science-fiction américain Philip K. Dick vit reclus dans sa maison, dont les fenêtres ont été peintes en noir, entouré de << freaks >> en tout genre qui passent leurs journées à se << shooter >>, à dormir et à discuter de tout et de rien, enfin surtout de rien. A cette époque, la paranoïa règne en maître sur le territoire des Etats-Unis, on voit des complots partout, chacun se sent épié et le scandale du Watergate n´est pas là pour rassurer les esprits.

De cette période sombre de l´histoire des USA et de sa vie personnelle, le romancier va en rendre compte de façon très juste dans son roman Substance Mort (A Scanner darkly), véritable chef-d´oeuvre publié en 1977 dans une indifférence quasi absolue.

S´il fallait vraiment résumer en quelques mots l´intrigue de cet OLNI (Objet Littéraire Non-Identifié), on pourrait dire qu´il s´agit de l´histoire de Fred, un agent des stups en guerre contre une drogue nommé Substance D, qui se voit confier la mission d´espionner un certain Bob Arctor et ses amis, tous accros à ladite drogue. Plutôt simple. A un détail près : Bob et Fred ne sont en réalité qu´une seule et même personne, chacun ignorant l´existence de l´autre. Raccourci expéditif pour le moins frustrant, mais qui a au moins le mérite de pointer un aspect primordial de l´oeuvre dickienne : les apparences sont trompeuses, et la réalité n´est jamais ce qu´elle semble être.

Depuis 25 ans maintenant, l´oeuvre de Dick est une source d´inspiration pour le cinéma américain : du Blade runner de Ridley Scott (1982) au Paycheck de John Woo (2003), en passant par Total recall (Paul Verhoeven 1989), Planète hurlante (Christian Duguay 1995), Impostor (Gary Fleder 2001) et Minority report (Steven Spielberg 2002). Mais tous ces films, dont la qualité est très variable, ne rendent pas toujours compte de l´univers très particulier de l´écrivain, basé sur la schizophrénie, la drogue, les simulacres, le tout agrémenté d´une dimension métaphysique difficilement transposable à l´écran. La plupart de ces films se contentent donc de pomper un postulat scénaristique de départ très excitant pour ensuite verser dans le simple film d´action.

Alors disons-le clairement : le film A Scanner darkly, par Richard Linklater, constitue la première adaptation fidèle d´un roman de Dick. Non pas fidèle au niveau de l´intrigue (Paycheck et Minority report sont à ce titre plutôt fidèles aux textes des nouvelles originales), mais fidèle à l´esprit de l´auteur : << Si le but d´une adaptation réussie n´est évidemment pas de respecter le texte à la virgule près, mais plutôt de ne pas en dénaturer le fond, comment, par l´image, donner corps à une pensée aussi complexe, et parfois aussi insaisissable que celle de Dick ? >>, s´interrogeait le critique Erwan Bargain en 2002 (Erwan Bargain, << Dick à l´écran >>, in L´écran Fantastique Hors Série n°4, septembre 2002, p.90). Quatre ans plus tard, la réponse à cette interrogation était enfin dévoilée grâce au film de Linklater.

Car c´est bien de cela dont il est question dans A Scanner darkly, à travers le procédé de rotoscoping utilisé par le réalisateur, procédé qui permet de retravailler sur palette graphique des images filmées pour leur donner un aspect de bande dessinée : donner enfin << corps >> à la pensée dickienne. Ainsi, le corps de véritables acteurs (Keanu Reeves, Robert Downey Jr., Woody Harrelson et Winona Ryder, tous absolument remarquables) se trouvent modifiés, déréalisés en quelque sorte, à l´image de la perception de la réalité pour leurs personnages, aux cerveaux rongés par la folie : telle un simulacre. Le cinéma est censé être le médium qui rend le mieux compte de la réalité ; mais si la réalité est elle-même un simulacre, il faut alors la traiter comme telle à l´image pour mieux en comprendre la nature.

Comme il a été dit précédemment, les adaptations cinématographiques antérieures de Dick sont souvent prétextes à réaliser des films d´action. Action au sens où les péripéties et retournements de situation abondent en permanence, au service de scripts tous plus machiavéliques les uns que les autres. A Scanner darkly prend le contre-pied total de cette approche de l´oeuvre de Dick : ici, les personnages passent leur temps assis dans leur canapé, au restaurant ou en voiture à déblatérer sans fin sur le nombre de vitesses que possède un vélo, sur la façon de séparer chimiquement la cocaïne de l´huile, ou même à se parler à eux-mêmes comme le fait Bob Arctor/Fred, le personnage interprété par Keanu Reeves.

Certains ont reproché au film de n´être qu´une succession de saynètes bavardes sans intrigue explicite, mais c´est oublier qu´il s´agit justement là du sujet même du film, et du livre : objectivement, les junkies passent leur temps à ne rien faire et mènent une vie des plus morne, mais de leur point de vue à eux, chaque détail, chaque mot, chaque discussion est susceptible d´ouvrir sur un monde extraordinaire et de remettre en cause l´ordre universel. Encore une fois, ne pas se fier aux apparences : s´il semble ne rien se passer dans le film de Linklater, c´est justement parce qu´il s´y passe des choses si importantes qu´elles doivent être camouflées pour se révéler. Paradoxe des plus dickiens pour le film le plus dickien jamais réalisé.

Une oeuvre entière, sans concessions, à laquelle certains seront sans aucun doute totalement hermétiques. Pour les autres, le << trip >> sera des plus puissants.

Titre original : Scanner Darkly

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Durée : 100 mn


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