Saturday Night and Sunday Morning , c’est donc aussi et surtout l’histoire d’un jeune homme en colère, cet Arthur incarné avec une fougue et authenticité peu commune par le jeune Albert Finney qui crève l’écran pour son premier rôle au cinéma. La vie d’Arthur se partage entre les semaines mornes où il ronge son frein à l’usine et le weekend où il enchaîne les beuveries épiques au pub avec ses amis et aligne les conquêtes féminines. Car Arthur a trouvé la solution parfaite pour s’évader de ce Nottingham grisâtre, se ficher de tout et de tout le monde et n’en faire qu’à sa tête. Albert Finney campe ainsi un personnage impulsif et imprévisible dans ses actes comme ses propos, un gamin espiègle qui n’a aucune envie de grandir comme le montrent d’hilarantes scènes où il joue de bien mauvais tours à ses congénères comme placer un rat mort au poste d’une collègue d’usine ou tirer au fusil à plomb dans la fesse d’une voisine récalcitrante. Arthur ne cherche qu’à vivre au jour le jour et sans attache, et le mariage aboutissement logique de tous les jeunes gens de son âge est synonyme de prison à laquelle il faut échapper. Le film se fait le portrait d’une certaine Angleterre de l’après-guerre, résignée et sans perspectives. Les quidams qui ont connu la guerre et les privations se contentent aisément d’un travail modeste et monotone qui leur apporte sécurité, la télévision étant une distraction bien suffisante et ils n’aspirent finalement à rien d’autre. La génération suivante, celles de leurs enfants ne se reconnaît pas dans cette perspective toutes tracée mais le film montre finalement l’impasse de ces jeunes gens face aux possibilités d’avenir terriblement limitées.
Pour Arthur, l’étau va même se resserrer dangereusement lorsqu’il mettra enceinte une amante mariée, où à travers la rencontre d’une jeune fille (Shirley Anne Field) plus délicate que ses conquêtes habituelles. Le filme nous promène ainsi au fil des pérégrinations quotidiennes et des pensées d’ Arthur dans une ligne narrative ténue et liées aux états d’âmes de son héros. La mise en scène de Karel Reisz est une alliance d’authenticité (qui se répercute dans les dialogues et situations où on évoque ouvertement le sexe, l’avortement…) et d’élégance nous faisant visiter les recoins les plus prolétaires de Nottingham avec ses pubs enfumés où la pinte coule à flot, les plans d’ensemble de paysage avec cheminées d’usines à pertes de vues, espaces ruraux de plus en plus restreint, petites ruelles où jouent les gamins…
La photo de Freddie Francis propose un noir et blanc somptueux et tout en nuances qui capte la vérité ce cadre tout en lui conférant une recherche visuelle toute cinématographique. La description est d’ailleurs loin d’être négative et avec le temps, c’est une vraie nostalgie qui se dégage pour cette Angleterre chaleureuse et faite de plaisirs simples comme la promenade dominicale à bicyclette, les excursions à la pêche, les sorties au dancing (belle bande-son mode jazzy) et bien évidemment les réunions au pub. La conclusion laisserait notre héros presque rangé mais rien n’est moins sûr tant rien ne laisse totalement penser que sa nature indomptée saura être domestiquée, surtout quand on sait que la société anglaise sera amenée à être bien plus libérée dans un avenir proche.