“Ma poésie est comme un brasero en été et un éventail en hiver. Elle va contre le goût populaire: elle est inutile” (Bushô Matsuo)
Novembre aura consacré le cinéma d’Ozu. Celui de la transition d’après-guerre, considéré à tort comme mineur dans sa production, mérite qu’on le redécouvre séances tenantes. Adoptant un ton aigre-doux résolument poignant et émotionnel, il retient un climat de morosité tant la guerre obère l’avenir dont nulle trace autre que allusive n’apparaît à l’image . Les films d’Ozu de cette période ne dérogent pas au spleen ambiant.
En 1942, le Japon est en passe de connaître une défaite cuisante. Peu de choix sont laissés aux cinéastes nippons sinon celui de remonter le moral de la nation en exaltant son âme guerrière, le sacrifice de soi, le devoir impérissable à la patrie.
Sans susciter pour autant la désespérance, ces films doux-amers dénotent d’une nostalgie désabusée qui pointe le veuvage et réintroduit le fil rouge de la paternalité (Récit d’un propriétaire, Il était un père), parfois selon un didactisme austère de la forme, la désunion et le divorce (Les soeurs Munakata, Une femme dans le vent), la lente dissolution de la famille nucléaire, l’occidentalisation et la modernisation du pays (Les soeurs Munakata).
Ozu dépeint, dans une synchronie binaire, un Japon ancien voué aux traditions conservatrices de piété filiale et de déférence au patriarcat. Un monde passéiste en voie de délitement qui entre en collision avec les idéaux d’une nouvelle génération prête à le défier et renverser ses valeurs archaïques. Avec cette production rare de l’immédiat après-guerre où il décrit l’humanité profonde de gens ordinaires au cœur de la déstabilisation du vieux monde, Ozu pose les jalons d’une signature iconique où il ne fera plus que peaufiner un style de plus en plus épuré jusqu’à sa mort prématurée en 1963, le jour de ses soixante ans. Pour Ozu, le seul antidote au monde moderne froid et déshumanisé reste la vie de famille caractérisée par une quiétude contemplative zen stricte et rigide et une simplicité désarmante. Finalement, c’est dans Dernier caprice, son pénultième film, que le sensei mettra en scène son Kagemusha, son double avant de tirer sa révérence
Alain-Michel Jourdat auteur de Le bonsaï qui cache la forêt, anthologie croisée de fleurons marquants du cinéma japonais de la tradition: OZU-MIZOGUCHI-NARUSE-KUROSAWA aux Éditions Jacques Flament (304 pages illustrées de photos de tournage et de reproductions d’affiches japonaises originales inédites. Lien pour commander l’opus : ici. Compte-rendu critique de l’ouvrage : ici