Une pépinière de films fondateurs
En exergue de l’essai comparatif, le bonsaï du titre condense la forêt luxuriante d’œuvres incontournables issues de la pépinière de films du second âge d’or du cinéma japonais. Davantage qu’un simple inventaire à la Prévert, c’est une recension détaillée d’une cinquantaine de films majeurs, incontournables dans leurs ramifications ; et profondément ancrés dans la japonité.
L’intertextualité des morceaux choisis s’impose d’évidence à travers les thèmes récurrents déroulés : la cellule familiale et la sphère domestique japonaise, les courtisanes, les geishas, l’influence de l’américanisation rampante, la prostitution, le processus de démocratisation du Japon d’après-guerre et la difficile émancipation féminine du joug paternaliste, le féodalisme… Chaque réalisateur apporte sa pierre à l’édifice et tisse un immense patchwork dans une
parfaite alchimie.
La géométrisation de l’œuvre d’Ozu a tout à voir avec le mono-no-aware, l’impermanence des choses. Celle de Mizoguchi et Naruse avec l’ukiyo-e, le monde flottant. Tandis que le cinéma de Kurosawa est volontiers transgressif et se joue des codes pour atteindre à une universalité.
Japonité et magie incantatoire du cinématographe
Que peut-il bien y avoir de comparable entre le regard d’entomologiste roublard et un brin paternaliste d’un Ozu porté sur la famille nippone, le bruissement soyeux des héroïnes déchues d’un Mizoguchi, les intermittences sentimentales de l’éternel féminin calquées sur les intempéries climatiques d’un Naruse et les emballements épiques et l’humanisme d’écorché vif d’un Kurosawa ? Rien en apparence. Hormis la magie transfigurante de cette boîte de Pandore qu’est le cinématographe, cet art transgressif par excellence qui fait passer des vessies pour des lanternes magiques.
L’auteur suscite des passerelles entre ces cinéastes mythiques jamais confondus par-delà leur japonité intrinsèque. Ainsi, “le goût de la monotonie” chez Yasujiro Ozu, dans sa description rituelle de la vie domestique des gens ordinaires, s’apparente, par une sorte d’affinité élective, à “l’esthétique de la mélancolie” qui, elle-même, est la marque de fabrique des drames sentimentaux de Mikio Naruse. Le mélodrame shimpa, spécifique de l’œuvre de Kenji Mizoguchi, sondant les tréfonds de la psyché féminine, se confond parfois dans la temporalité avec la geste kurosawienne. Quand Mizoguchi décrit les sinuosités de l’âme de ses héroïnes dans leurs affres existentiels avec la grâce serpentine qui caractérise sa mise en scène ensorceleuse comme sous l’effet d’un sortilège magnétisant, Kurosawa questionne l’humanisme dostoïevskien de ses héros en butte à la morale guerrière du bushido.
Le bonsaï qui cache la forêt condense à fleur de pages une recherche bibliographique minutieuse et exhaustive. L’ouvrage, dense, procède d’une lente maturation de près de dix ans à visionner les grandes rétrospectives de films japonais, à passer au crible de l’analyse formelle et ré-évaluer des films majeurs de cette cinématographie inépuisable. Au Japon, les choses sont extrêmement codifiées et tout fait sens dans un brassage sémantique perpétuel. Ce que Roland Barthes a résumé dans son opus incontournable: L’empire des signes.