Qu’est-ce qui vous a poussé à la réalisation ? J’ai toujours eu une grande envie de participer à la fabrication de films. Le cinéma a toujours représenté pour moi l’évasion. Il m’a permis de m’échapper de ma réalité et de repousser les limites de mon cerveau, tant au niveau de la réflexion que de l’imaginaire. Ma porte d’entrée vers le cinéma fut le métier de journaliste que j’ai exercé chez MCM et Canal plus il y a 15 ans. Entre 1997 et 2003, j’ai présenté des émissions sur le cinéma et c’est grâce à cela que j’ai pu voir des dizaines de films par semaine, me rendre sur les tournages, interviewer les réalisateurs/trices, les acteurs et les actrices. C’est assez naturellement qu’au bout de quelques années, j’ai fini par passer à la production et à la distribution de films. Mes études en école de commerce m’y ont également aidé. Mais au fur et à mesure, l’envie de raconter « mes » histoires et de pouvoir mettre en avant les sujets qui m’importent a pris de l’importance et devenir réalisatrice m’est apparu comme une évidence, voire un besoin presque vital pour donner du sens à ma vie.Pourquoi ce format-là ?
Le documentaire est une formidable école pour apprendre à faire des films, à mettre en images des personnalités fortes, des émotions, des idées…et il permet une vraie liberté de tournage. Vous n’avez qu’à prendre une caméra, un pied et un micro cravate et vous partez tourner. Vous pouvez tourner des heures, des jours…et comme j’ai également appris à monter, je peux monter pendant des semaines et ça j’adore ! Je suis une besogneuse et le documentaire, en ce sens, me correspond tout à fait. Et lorsqu’en plus, vous tournez un documentaire pour le cinéma, vous avez une liberté de ton que vous ne pouvez trouver nulle part ailleurs. Je recommande ce format à tous les jeunes cinéastes. Vous apprendrez à observer les autres avec une caméra. C’est essentiel.
Comment avez-vous choisi les cheffes qui sont restées au montage ?
J’ai rencontré autant de femmes chefs que possible puis j’ai dû faire des choix pour arriver à un film de 90 minutes. Mon premier bout à bout faisait 5 heures ! J’ai choisi celles dont le parcours me semblait pouvoir servir d’exemple car nous, les femmes et les filles, manquons cruellement d’exemples de femmes qui suivent leurs passions et réalisent leurs rêves les plus fous. Bien entendu, le choix a été difficile, long et il est forcément un peu subjectif puisque j’en suis la seule responsable.
Le film était-il écrit avant ? A quel point s’est-il (ré)écrit au montage ?
J’avais écrit 25 pages de « scénario » pour expliquer à d’éventuels investisseurs et aux femmes chefs quelle idée j’avais du documentaire que je voulais faire. J’y expliquais les sujets et les thèmes que je voulais aborder dans la gastronomie et j’y avais listé les femmes chefs et les sommelières que j’avais trouvées sur internet. Mais ensuite le vrai scénario s’est écrit au montage en fonction de mes rencontres et de ce que ces femmes chefs m’ont dit face caméra. J’aime travailler comme cela car alors le sujet s’empare de votre film et vous êtes sûr(e) de « raconter » les choses telles qu’elles sont. Si vous partez avec une idée bien écrite de ce que vous allez raconter dans un documentaire, vous risquez de fortement tordre la réalité pour qu’elle colle à votre idée de départ, souvent préconçue et assez ignorante. J’aime avancer dans la fabrication de mes documentaires comme un(e) journaliste fait une enquête et, finalement, au montage, je relate quelque peu le cheminement de mon enquête, ce que j’ai compris pas à pas. Je ne suis ni cuisinière professionnelle, ni restauratrice, j’avais donc beaucoup à apprendre de ce milieu de la gastronomie.
J’ai été surpris par la grande douceur de votre long métrage. Avez-vous contenu votre rage comme le laisse suggérer la chanson de rap qui accompagne le générique de fin ?
C’est ma façon de m’effacer face aux personnes que j’ai rencontrées et qui font le film. Encore une fois, mes a priori ou mes idées préconçues, j’ai voulu qu’elles laissent la place au vrai. Et j’adore la chanson de Keny Arkana du générique de fin ! Respect et admiration pour cette artiste argentino-marseillaise !
Quels sont les films sur la cuisine ou l’alimentation que vous aimez (fictifs ou documentaires) ?
Ils sont nombreux. En voici quelques uns : Solutions locales pour un désordre global de Coline Serreau (2010), Chef’s table, la série sur Netflix, Steak (R)evolution de Franck Ribière (2014), que j’ai produit et monté Salé sucré de Ang Lee (1994) mais aussi Les Amis de Peter de Kenneth Branagh (1992) qui n’est pas un film sur la cuisine mais où tout se passe autour de dîners ou dans la cuisine… et bien sûr dans la même veine, Un Air de famille de Cédric Klapisch (1996). La gastronomie, c’est avant tout du lien entre des amis, des inconnus, des membres d’une famille…
Pouvez-vous nous toucher quelques mots de votre nouveau projet (de fiction cette fois) ?
Beaucoup d’Américains et d’Américaines auteur.e.s culinaires ont passé du temps ensemble en Provence dans les années 70 et je voudrais confronter leurs années 70 avec les nôtres, nous, les Provençaux.
Vous connaissez le cinéma sous de multiples angles : critique, financement, marketing… Que vous apporte cette connaissance aujourd’hui ?
La polyvalence et c’est un énorme avantage dans le monde d’aujourd’hui. Savoir un peu tout faire vous permet de faire vos films même quand aucune chaîne de télé ou de région ne veut vous les financer, quand aucun distributeur ne veut les distribuer, quand vous n’avez pas les moyens de payer un créateur pour faire une affiche, une bande annonce ou un dossier de presse. Ca me permet de continuer à avancer…
A la recherche des femmes chefs pose par extension la question de la place des femmes dans le monde professionnel de manière générale. Qu’en est-il du cinéma ? Des metteures en scène femmes ? Comment voyez-vous leur évolution ? Quelles sont les jeunes cinéastes que vous suivez ?
Le vrai problème est que le budget moyen donné à une réalisatrice en France est nettement inférieur au budget moyen que l’on donne à un réalisateur homme pour raconter ses histoires. A partir de là, forcément, les histoires des femmes semblent plus « petites ». En gastronomie, si le gouvernement montrait l’exemple en mettant des femmes chefs à l’Elysée ou dans les Ministères, ça donnerait un signal fort à tout le milieu. De même, si le Centre National de la Cinématographie décidait comme au Canada d’accorder la moitié de ses aides à des femmes réalisatrices, le signal serait fort, la réaction en chaîne du milieu du cinéma serait énorme et on considèrerait différemment les projets « de femmes ». Quant aux femmes réalisatrices, je les suis toutes, jeunes et moins jeunes, car pour moi la jeunesse n’est pas forcément un avantage pour réaliser. Il faut avoir vécu et savoir dans quel monde on vit pour que sa réalisation ait du sens. Jane Campion et Kathryn Bigelow sont mes favorites, j’aime beaucoup la sensibilité de Céline Sciamma mais j’attends un jour Emma Thompson à la réalisation!
Crédits photo : La Ferme Productions
Remerciements à Vérane Frédiani et à l’attachée de presse Sophie Bataille.