Comment êtes-vous arrivé sur le projet ?
Dans un premier temps, j’ai rencontré la productrice Robbie Brenner avec qui je bossais sur un autre scénario, un projet qui n’a pas abouti. Quelques semaines plus tôt, elle avait reçu un appel de Matthew McConaughey qui venait de lire le scénario de Dallas Buyers Club, dont elle détenait les droits. Il lui a dit qu’il voulait absolument faire ce film, qu’il était fait pour lui. Robbie Brenner a alors eu l’instinct de nous réunir. Elle m’a d’abord fait lire le scénario sans mentionner l’intérêt de Matthew. À la lecture, j’ai trouvé ce projet « trop beau ». Je lui ai dit que je voulais faire le film et je lui ai même fait remarquer que je regrettais de ne pas avoir été associé au projet plus tôt. Elle m’a ensuite annoncé que j’allais rencontrer Matthew. Je lui ai dit : « Come on, ça ne peut pas être McConaughey. Il est trop beau et trop musclé pour le projet. Prends quelqu’un d’autre ». Mais elle a insisté et je l’ai rencontré. J’ai ensuite travaillé avec les scénaristes [Craig Borten et Melisa Wallack, ndlr]. J’ai voulu mettre un peu du mien dans le film. Mon approche consistait à se débarrasser de tout ce qui n’appartenait pas au point de vue de Ron. Le scénario de base était plus politique. Des scènes se déroulaient à la FDA [agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux, ndlr], au gouvernement, à la Maison-Blanche… Il y avait toutes sortes de personnages dont je n’avais personnellement rien à foutre. Je pensais qu’il fallait raconter le plus possible l’histoire à travers les yeux de Ron, ou bien à travers ceux de la femme médecin [Jennifer Garner, ndlr] ou de Rayon [Jared Leto, ndlr]. Nous avons donc reconstruit le scénario pour que l’histoire soit racontée de cette façon. C’est pour ça que le spectateur, à l’aide de fondus à l’ouverture et à la fermeture, ressent tout ce que Ron entend et voit lui-même : ses pertes de connaissances, ses réveils, la sonnerie qui résonne dans sa tête… Et lorsque le spectateur n’est pas avec lui, il suit Rayon. J’ai aussi ajouté ma touche au film en définissant l’univers musical.
Pourquoi Matthew McConaughey vous semblait-il si peu adapté au film ? Il a pourtant un point commun avec Ron Woodrof : ils sont tous les deux Texans…
Ses choix de carrière, son apparence de Dieu grec, ce qu’il dégage… Ce n’est pas lui qu’on voit quand on lit le scénario. C’est pour ça qu’il devait se transformer, radicalement, et c’est ce qu’il a fait. Mais effectivement, le fait qu’il soit Texan m’a par exemple aidé à rester ouvert lors de notre première rencontre, malgré mes réserves. J’étais en mesure de lui donner sa chance et je lui ai fait confiance. Tout comme il m’a lui aussi fait confiance. Il avait vu C.R.A.Z.Y. (2005) et Café de Flore (2012).
Pour les besoins du film, Matthew McConaughey et Jared Leto ont perdu beaucoup de poids. Avez-vous eu peur pour la santé de vos acteurs sur le tournage ?
Jamais… Jared est taré, ça c’est sûr. Nous l’avons rencontré très tard. Il a tout simplement arrêter de manger pour maigrir, ce qu’il ne nous avait pas dit. Matthew, de son côté, sans doute parce qu’il a aussi une famille, a fait les choses de manière plus consciencieuse. Jared aurait peut-être dû faire de même, mais c’est sa façon de faire. Puis il n’a jamais donné un signe de faiblesse ou de perte de contrôle. Encore moins Matthew, qui tournait tous les jours contrairement à Jared. Ils étaient tous les deux toujours en pleine possession de leurs moyens, avec une énergie débordante, prêts à remettre en question le scénario, la mise en scène… Ce sont vraiment des mecs possédés.
Cette forme de possession a-t-elle créé une émotion particulière entre leurs personnages ? A-t-elle influencé leur manière de jouer ?
Beaucoup. Matthew et Jared, de par leur transformation physique, se sont motivés l’un l’autre. Ils étaient tous les deux impressionnés par leur apparence respective. Ils sont compétitifs et étaient stimulés par les performances que le film impliquait. Lorsque je disais « Action », ils se rendaient compte des liens établis entre eux et s’entraidaient alors. En étant témoins de leur comportement, tous les autres acteurs et même l’équipe avaient envie de se dépasser comme eux et d’être à la hauteur. Devant toi, devant la caméra, il se passe quelque chose de spécial, de géant, d’unique… Tu ne dois pas merder. Tu te dévoues donc à la cause comme eux. C’est aussi pour ça qu’on fait du cinéma. On aime faire semblant, créer des histoires, entrer dans un personnage. Et là, ça marche, ça a l’air vrai. Matthew et Jared ont contaminé involontairement tout le plateau.
La force qui s’est dégagée sur le tournage vous a donc impressionné ?
C’est sûr. Regardez ce que le public vit pendant deux heures, il en ressort complètement impressionné par la performance de Jared et de Matthew. Nous avions cela dix heures par jour pendant vingt-cinq jours de tournage. Nous étions le premier public. Dès la première semaine, ils m’ont sorti de ma zone de confort. Ils ont tout de suite mis la barre très haut, alors qu’en ce qui me concerne, je suis plutôt de l’école « less is more » : moins tu en fais, mieux c’est. Mais eux me donnaient du « more is more ». J’essayais de calmer le jeu, j’avais peur que ça soit du suicide professionnel, une comédie. Ils ont finalement eu raison. Quand je leur demandais d’en faire moins, ils n’y arrivaient pas. En réaction, je me suis donc mis à l’écart, j’ai arrêté de filmer de trop près. La plupart du temps, je n’intervenais pas, j’ai appris à faire confiance à leurs instincts. Je n’ai pas eu à couper des performances. Elles étaient belles et touchantes sans que je m’y immisce. Je leur laissais aussi le champ libre pour bouger. Nous répétions dans le décor, sans éclairages, sans l’équipe, juste un cameraman et un petit moniteur. Parfois les répétitions s’avéraient nulles et on recommençait mais le plus souvent, la performance était spontanée, crue, réaliste, comme dans un documentaire. Comme John Cassavetes, je laisse une grande liberté aux acteurs. Pas de marques au sol, ils peuvent se mouvoir dans l’espace à 360°, l’équipe va dehors, je suis derrière le caméraman et dès que je vois un truc, je bouge ses épaules… et le pointeur, il se démerde. L’enfer pour un pointeur, ce genre de film.
Le Sida est-il un sujet qui vous touchait personnellement avant de faire ce film ? Pourquoi le scénario vous a-t-il tant intéressé ?
Pas du tout. Avant de raconter l’histoire des Buyers Club et du Sida, mon intention était de raconter l’histoire de Ron. C’est une crapule qu’on aime suivre. Ron est un homme homophobe, raciste, prêt à voler ses amis… mais on aime ce mec, on aime l’humanité en lui. Les scénarios avec de tels personnages sont rares. Et c’est grâce à McConaughey qu’on parvient à un tel résultat. C’est plus que de la simple interprétation. Si ça n’avait pas été lui, ça n’aurait pas fonctionné ainsi. Dès les premières minutes, le public est conquis par le personnage malgré ses défauts. Il devient un porte-parole sans le vouloir, à force de se défendre. Je sais néanmoins qu’il se déroule par ailleurs une histoire collective. C’est un film d’émotion qui devient par la force des choses un film politique, non l’inverse. Mais on a aussi voulu servir ce point de vue. Le film est ainsi un hommage aux activistes gay des années 1980 qui ne sont plus avec nous, sauf quelques-uns. Ils ont dû attendre 13 ans [de 1983 à 1996, ndlr] avant de finalement obtenir un traitement contre le Sida, la trithérapie. Une trithérapie qui comporte d’ailleurs de l’AZT, la molécule [zidovudine, ndlr] contre laquelle Ron se bat dans le film, à tort comme on l’a appris plus tard. Au début des années 1980, jusqu’en 1985, personne ne connaissait le véritable effet de l’AZT même si on lui reconnaissait du potentiel. Ron pensait, comme beaucoup de chercheurs, que l’AZT détruisait les anticorps des malades, déjà trop affaiblis. Si tu étais diagnostiqué comme atteint du virus VIH mais que tu n’étais pas encore malade du Sida, ce médicament transformait dans 95% des cas le virus en maladie. Alors Ron avait aussi en partie raison, l’AZT pouvait tuer des gens. Mais il faisait aussi de l’effet sur certains patients dont le système immunitaire était différent. Tout était une question de dosage.
Pourquoi avoir choisi la lumière naturelle ?
Nous n’avons aucune lumière artificielle dans le film. Si nous manquions de lumières, elles figuraient dans le décor. Avec des chandelles supplémentaires, le tour était joué. Dans la scène de la boîte de strip-tease, nous avons placé une centaine de petites bougies rouges sur toutes les tables autour, deux par table. Sauf pour le gros plan de Matthew qui fait penser à une église, où il y en avait une quinzaine. Le chef décorateur a éclairé le film avec l’aide du chef op’, ils ont géré la lumière en fonction de ce qu’ils avaient déjà naturellement. C’est aussi pour ça qu’il y a un truc à la Cassavetes dans le film.
Votre film est nominé six fois aux Oscars. Quel effet ça fait ?
Pour ma part, cela ne change pas grand-chose, mais cela change la perception des autres sur ton travail. Je l’ai bien senti après les Golden Globes (où Matthew McConaughey et Jared Leto ont remporté un prix pour leur prestation dans Dallas Buyers Club, ndlr). Beaucoup d’acteurs sont ensuite venus me voir. Rien que le fait d’être nominé, c’est plutôt cool pour les acteurs et l’équipe. Avec en plus les Critic’s Choice Awards et les Screen Actors Guild Awards, les garçons sont bien partis, rien ne peut les arrêter. Je serais content pour eux s’ils remportaient l’Oscar. La nomination des monteurs est aussi très belle.
À lire : la critique de Dallas Buyers Club.