Il est des films qu’on traverse comme des rêves, ou des cauchemars, non pas parce qu’on s’y ennuie, mais parce qu’ils tissent une trame de malheur qui emprisonne à son tour le spectateur. On n’en finira jamais de soulever des pans de l’Histoire proche de nous. Un aspect méconnu est abordé ici : l’annexion du Luxembourg par l’Allemagne nazie en mai 1940, qui va donner lieu à l’embrigadement des jeunes luxembourgeois dans l’armée du Reich pour aller se battre sur le front. De nombreux jeunes hommes refuseront d’obéir à cet ordre et deviendront des réfractaires, un peu comme ceux qui, en France, refusaient le Service du Travail Obligatoire. Le destin de ces réfractaires luxembourgeois a pris une grande importance dans l’histoire du pays et de son indépendance. Plus encore que les réfractaires français au STO qui ont souvent été occultés par le courage de la Résistance et de ses actes de bravoure, même s’il était sans doute aussi difficile de résister à cette horrible et absurde machine de guerre qui ne faisait pas de quartiers.
À travers ce film, le réalisateur veut travaille la question que tout un chacun s’est un jour posée, ou se posera : « Qu’aurais-je fait à leur place ? » En effet, que fallait-il faire en pareille histoire trouble et atroce ? Obéir aux ordres des nazis, entrer dans la Résistance ou, au moins, devenir réfractaire, c’est-à-dire en la circonstance, être accepté dans une mine pour s’y cacher et n’en pouvoir sortir que la peur au ventre de peur d’être arrêté par la Gestapo.
C’est le choix qui s’imposera à François, incarné par Grégoire Leprince-Ringuet assez convainquant dans un rôle aussi difficile, jeune homme de bonne famille dont le père collaborateur a été tué et dont la mère, musicienne, est devenue folle. Dans la mine où il s’est réfugié, face aux quelques autres jeunes gens issus du même village, mais pas de la même classe sociale, il faudra du cran à François pour s’imposer et devenir leader. « Nous sommes tous le fruit d’une équation basique, déclare le réalisateur, qui conjugue des paramètres tels l’hérédité et le contexte familial, le milieu socio-économique dans lequel nous grandissons et enfin notre individualité qui se révèle au fur et à mesure de ce que la vie nous apporte comme défis. » Le chef, communiste, de cette petite communauté qui souffre de claustrophobie (l’un de ses membres est d’ailleurs atteint d’asthme), impose sa loi et ne peut supporter bien évidemment François, considéré comme un ennemi de classe, et certainement un traître en pensée ou en action.
Le film construit sur de multiples enfermements (dans la petite bourgade, dans la mine, dans la cave, dans la maison familiale et enfin, et surtout, dans une Histoire atroce qui avale tous les personnages privés de libre arbitre comme un ogre assoiffé de sang) fonctionne bien, même s’il semble sans cesse en train de retrouver son équilibre entre cinéma et théâtre filmé. Mais la reconstitution de l’époque est remarquable, les acteurs (mention spéciale à Marianne Basler particulièrement bouleversante en femme prisonnière de l’Histoire, du nazisme et de la collaboration) sont très crédibles, pour construire une histoire qui fait vivre au spectateur le chemin suivi par un jeune homme empêtré dans un lourd passé familial, mais qui réussira à se trouver enfin un destin jusqu’au bout de sa propre vie. Un exemple de réfractaire, on pourrait même dire : voici ici la parfaite illustration de la théorie sartrienne de l’engagement.
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