Récits d’Ellis Island

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Récits d´Ellis Island est composé de deux parties. La première, Traces, revient sur le lieu même de l´île qui de 1892 à 1954 a vu transiter 16 millions d´hommes, de femmes et d´enfants. Traces met en parallèle une visite guidée du lieu délabré à un groupe de touristes par un boy-scout et une succession d´images […]

Récits d´Ellis Island est composé de deux parties. La première, Traces, revient sur le lieu même de l´île qui de 1892 à 1954 a vu transiter 16 millions d´hommes, de femmes et d´enfants. Traces met en parallèle une visite guidée du lieu délabré à un groupe de touristes par un boy-scout et une succession d´images de ce lieu commentées par Perec. La seconde partie, Mémoires, plus classique dans sa forme, met en scène des rencontres entre les réalisateurs et d´anciens immigrés juifs et italiens qui sont passés par << l´île des larmes >>. Cet objet composite, à la limite du documentaire, est porté par la parole poétique de Perec. Le travail de mémoire crée ainsi une poétique du lieu.

<< Comment décrire ? Comment raconter ? Comment regarder ? >> Ces questions posées par Perec comme préambule de sa réflexion sur le lieu particulier qu´est Ellis Island mettent en avant sa démarche. Ce film est en effet un questionnement sur << le lieu même de l´exil, c´est-à-dire le lieu de l´absence de lieu, le non-lieu, le nulle part. >> La voix de Perec dénombre les immigrants, leur pays d´origine, les cargos sur lesquels ils sont arrivés, les ports de départ tandis que le bateau s´approche de l´île avec la lenteur et les roulis des cargos de l´époque. Cette énumération, ce dénombrement qui caractérise l´écriture de Perec se retrouve ici pour tenter de représenter ce lieu de passage. Cette poétique du dénombrement se développe tout au long du film en s´appuyant sur des plans longs et maintes fois répétés des différents endroits de l´île. Perec semble vouloir épuiser le lieu pour lui donner sens en s´appuyant sur l´énumération d´objets présents à l´écran. On ne peut, selon lui, qu´essayer de nommer les choses, une à une, platement.

L´utilisation des photographies dans la première partie du film est emblématique du travail des réalisateurs. Le film s´ouvre sur la main de Perec qui feuillette un album de photographies, qu´on devine être celles du tournage. Au détour des longs plans vides d´Ellis Island délabrée apparaissent des photographies. Deux de ces photographies s´animent et se transforment en film d´époque pour évoquer l´arrivée et le rêve américain. Ces photographies d´immigrants sur l´île sont placées à l´exact endroit où elles ont jadis étaient prises. Elles sont comme prisonnières du lieu, à la fois rajoutées par la main des réalisateurs et comme appartenant déjà et à jamais au lieu délabré pour en restituer son << ça a été >>.

Mais Perec lui-même pose une distance face à la photographie : << sous la tranquillité factice de ses photographies figées une fois pour toutes dans l´évidence trompeuse de leur noir et blanc, comment reconnaître ce lieu ? >> Elles emplissent le lieu, lui donne un autre sens tout en le laissant vide. Elles sont les traces, tout comme ce lieu délabré, du passage de la vie dans Ellis Island. La dernière photographie, avec en fond sonore, les sirènes des bateaux, est celle d´une famille qui regarde au loin l´horizon avec un homme qui tend la main vers un ailleurs indécidable. L´intelligence du film se retrouve dans le dernier mouvement qui, après un zoom, s´extraie de la photographie pour plonger dans la mer. Tout est ainsi à recommencer.

La visite du lieu par un groupe de touristes mené de main forte par un boy-scout moralisateur et condescendant donne à voir un autre versant du lieu. Le cadrage très rapproché du guide en fait un personnage étrange, à la limite du réel. Les groupes de touristes connaissent déjà les histoires de changement de noms, les vingt-neuf questions, les visites médicales. Ils ne sont pas venus pour entendre le guide mais bien pour retrouver un pan de leur mémoire. Ellis Island est un lieu de mémoire pour tous les enfants d´immigrants mais aussi pour tout homme. Perec y voit la mémoire potentielle du juif qui ne doit la vie qu´ << au hasard ou à l´exil >>. Ce film semble en effet être un film personnel : ces deux auteurs y sont venus chercher une trace, fantasmée ou réelle, de leur passé. L´interrogation sur le lieu devient interrogation sur soi.

La deuxième partie, de facture plus classique, met en avant la parole de l´immigré et la remontée des souvenirs. Les personnes interrogées sont filmées chez elles sauf une qui revient avec Perec sur les lieux de son exil. La puissance de sa parole résonne dans ces lieux où sa famille est restée dix semaines, dix semaines d´attente face à la Statue de la Liberté. L´intelligence de la mise en scène laisse partir Perec et cette femme de la grande salle d´Ellis Island et se tarir leurs voix. La multiplication de ses histoires individuelles éclaire la grande Histoire et ancre dans la parole poétique de Perec celle des témoins.

Ce film parvient donc grâce à sa distance critique, à son interrogation sur l´image et à la force poétique du texte de Perec à construire la mémoire d´un non-lieu, d´un passage. L´errance et l´espoir émanent de chaque plan, de chaque photographie qui s´ancre alors à jamais dans la mémoire collective de l´exil.

Titre original : Récits d'Ellis Island

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Durée : 117 mn


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