Depuis plus de soixante-dix ans, le prix Jean Vigo récompense un long et un court métrage de production ou de coproduction française. Pouvez-vous nous rappeler l’histoire de ce prix ?
Le prix a été créé en 1951, sur l’idée d’Armand-Jean Cauliez, professeur de lettres, biographe et historien de cinéma. Il était proche de Claude Aveline, pseudonyme d’un éditeur et homme de radio, camarade de sanatorium de Jean Vigo au début des années vingt. Est née alors l’idée, non pas de consacrer un film, mais de récompenser un(e) cinéaste qui démontre par anticipation qu’il est déjà ou qu’il ou elle sera un auteur. Il y a un synchronisme entre la création de ce prix et la naissance des Cahiers du Cinéma. Une revue consacrée au cinéma d’auteur. Le Vigo et Les Cahiers se sont rencontrés sans le savoir, finalement. Troisième point important de notre histoire, c’est la Nouvelle Vague. Quand ce mouvement a pris forme, le prix avait déjà été décerné a plusieurs cinéastes dans les années cinquante, des noms aujourd’hui quelque peu oubliés comme Jean Lehérissey, Henri Schneider, Albert Lamorisse. Durant la période embryonnaire de la Nouvelle Vague, le cinéma commence a changé, en 1954 on a Resnais et Marker. En 1957, Alain Jessua, en 59 Chabrol puis Godard. Tout ça renvoie au texte de Truffaut : Une certaine tendance du cinéma français, qui s’attaque à une profession repliée sur elle-même.
Pour revenir à l’histoire du prix, Claude Aveline a assuré la présidence jusqu’en 1976, puis Luce Vigo a pris la relève, c’est également à cette date que j’ai intégré le jury. En 2017, suite au décès de Luce, j’ai accepté de prendre le relais.
Quelles sont valeurs sur lesquelles s’appuient ces récompenses ?
Contrairement au prix Louis Delluc, le Vigo ne consacre pas une œuvre selon son degré de maitrise, il prend un pari sur l’avenir. L’avenir d’un cinéaste. C’est un nouveau venu audacieux, indépendant, qui a pris des libertés avec les pseudos canons érigés en dogmes de l’époque. Nous souhaitons faire perdurer l’esprit de départ du prix. Hors de question de retourner vers un cinéma mainstream ou de mettre en avant « les films du milieu » : des films de scénaristes ou de techniciens. On encourage un réalisateur ou une réalisatrice qui prend des risques. Au cours de notre histoire, ce sont des metteurs en scène comme Philippe Garel, Arnaud Despleschin, Luc Moulet, Alain Guiraudie… Même si nous avons surement oublié de mettre en valeur certains auteurs, on voit bien que ceux que je viens de vous citer ont répondu aux espoirs.
Comment s’opère la sélection des films ? Combien de films ont concouru ?
On ne consacre qu’un film qui n’est pas encore sorti en salle. Il a pu par ailleurs concourir dans un festival, mais pas dans une grande vitrine comme Cannes, Venise, Berlin… Même si notre terrain de recherche se retrouve réduit par ces critères, il reste autour de 200 films (longs et courts-métrages confondus) à apprécier. On fait un travail de prospection avec la collaboration du C.N.C.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la composition de l’association et de son Conseil ?
L’association comporte une quinzaine de membres ( administratrice, jurés ou celles et ceux qui font de la prospection…). Y sont adjoints des intervenants extérieurs (attachée de presse, graphiste…). Cependant au niveau du jury (entité interne mais différente) on essaye de ne pas dépasser 11 personnes, pour ne pas générer trop de cacophonie au moment de délibérer.
Le prix a pour vocation d’encourager un auteur. Au-delà de la reconnaissance de son talent, est-ce que cela est suivi d’autres actions : ressortie en salle, par exemple ?
Le fait d’avoir le prix est une formidable opportunité pour diffuser et exporter son film. De plus, c’est un atout indéniable pour lancer un nouveau projet. Notre but est de facilité la vie du Lauréat. Certains réalisateurs ne connaissent pas les rouages de la profession. « Ce ne sont pas des professionnels de la profession », comme disait Godard. En plus, on met en place des évènements périphériques, on a souvent organisé des Master Class à deux, par exemple.
On fait des projections à l’extérieur; au MOMA à New York ou au Palais de Tokyo ; où l’on a organisé une rétrospective des quarante ans du Vigo. Ou encore au festival de Morélia, au Mexique, où leurs auteurs présentent les deux « films lauréats ».
La cérémonie a lieu à la cinémathèque française. Un choix emblématique ?
C’est une longue histoire entre nous et la cinémathèque. Langlois a été un grand défenseur de Vigo après la guerre. Lorsque la cinémathèque se trouvait au Trocadéro, c’était notre lieu, d’accueil, puis quand elle a été transférée à Bercy, on a pris nos quartiers à Pompidou. Aujourd’hui, c’est un retour logique et naturel.
Wang Bing
Cette année Wang Bing va recevoir un prix d’honneur. Que célèbre ce prix ?
Le prix d’honneur permet de récompenser une œuvre dont on pas su imaginer l’importance au moment où elle démarrait. Il n’est pas destiné exclusivement à un cinéaste français, c’est le film qui doit l’être. Wang Bing a un coproducteur en France. L’œuvre de Wang Bing avec ses qualités, correspond parfaitement à ces critères.
Interview réalisé par téléphone le jeudi 3 juillet. Merci à Gérard Vaugeois pour sa disponibilité et sa gentillesse. Merci également à Audrey Grimaud, attachée de presse créatrice de l’agence Valeur Absolue pour avoir organisé ce moment.