Pour ton anniversaire

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Réflexion sur le capitalisme et les ravages de l’amour, ce film en forme de thriller va loin, tout en cherchant obstinément un style.

Avec un film tous les deux ans environ, Denis Dercourt ne fait pas parler de lui mais tisse une œuvre peu banale. On l’avait remarqué entre autres pour La tourneuse de pages  (2006) avec Catherine Frot et Déborah François, mais aussi pour Demain dès l’aube (2009) avec Vincent Perez et Jérémie Renier. Dernièrement, il réalise consécutivement deux films franco-allemands, comme suite à son installation à Berlin en 2010. Voici donc, après La chair de ma chair (2012), Pour ton anniversaire qui utilise de façon subtile la musique, ce monde dans lequel baigne aussi Denis Dercourt, professeur d’alto et de musique de chambre au Conservatoire National de Région de Strasbourg. Licencié en philosophie, diplômé de sciences-po, ex-alto solo de l’Orchestre Symphonique français, voici un réalisateur singulier qui nous livre ici un film glacial et quelque peu terrifiant sur les relations humaines. Il faut cependant accepter le postulat de base qui est une sorte de pacte entre deux adolescents, comme on en fait à cet âge réputé bête et qui, fort heureusement, ne résiste pas beaucoup à l’usure du temps. Dans les années 80, en ex-Allemagne de l’Est, deux amis d’école s’échangent en quelque sorte une fille, comme ça, bêtement. Mais au pays du célèbre pacte de Faust avec le diable, du roi des Aulnes et des punks révoltés, ça ne pouvait que tourner mal surtout avec l’aide de Denis Dercourt qui a parfaitement intégré la culture germanique, ce feu qui couve sous la glace, et les horreurs qui se déplacent lentement à l’ombre d’une culture faite de musique et de belle éducation.

Avec des images sobres, un récit somme toute assez linéaire, le réalisateur parvient à planter non seulement un décor mais une ambiance qui ne va pas sans évoquer le cinéma allemand des années 70, de Scènes de chasse en Bavière de Peter Fleischmann (1969) jusqu’à certains films de R.W. Fassbinder, notamment dans le jeu des personnages, leur côté glacé et leurs visages inoubliables. D’ailleurs, pour incarner le personnage d’Yvonne, Denis Dercourt est allé chercher un grande star berlinoise du théâtre, Sophie Rois, émule de la Volkbühne, cette scène bien connue de Berlin Est, comme si l’Allemagne de l’Est ne voulait pas mourir. Nulle Ostalgie toutefois dans ce film, mais au contraire une métaphore sur la Banque et le capitalisme qui manipulent, sur les chefs qui broient et détruisent tout sur leur passage, comme une maladie, comme un vampirisme qui nous ramène encore et toujours au cinéma expressionniste.
L’idée est séduisante car, autour de ces fausses retrouvailles, quelque 17 ans après, entre camarades de classe, bernés, manipulés ou blessés, il y a quelque chose de l’Allemagne que le réalisateur a bien compris, à la manière du film de Volker Schlöndorff réalisé en 1966, Les désarrois de l’élève Törless. Sauf qu’ici, pas de brimades ni de tortures, les séquences dans les années 80 sont très courtes, et tout se passe de nos jours dans la macération de vengeances qui, bien sûr, se dégustent froides, et nous plongent dans une sorte de paranoïa qui sied bien à notre époque troublée. 

En réalisant cette sorte de thriller, à la manière d’un Dominik Moll qui nous avait séduits il y a quelques années avec son Harry, un ami qui vous veut du bien (2000), ou d’un Hitchcock germanique, amateur de musique et de belles maisons vouées à la ruine comme dans La chute de la maison Usher de Roger Corman (1960), Denis Dercourt va très loin dans l’exploration de l’âme humaine, même s’il ne nous apprend pas grand-chose, et s’il dénonce parfois des travers qui confinent un peu à la caricature. Mais une sorte de grâce sauve tout du long son film de la banalité et du ridicule. Et ce n’est pas peu dire qu’il n’a peur de rien et surfe obstinément et sans répit sur ce danger.
 

Titre original : Zum Geburtstag

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Durée : 83 mn


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