Plan B

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Lassé des mielleuses et répétitives comédies romantiques hollywoodiennes, Marco Berger s´empare du genre et le ramène aux sources : l´émotion. Une belle surprise.

La comédie romantique puise largement dans les ressources du conte, plus précisément dans celles du conte merveilleux ou conte de fée. Le conte met en scène la réunion de deux êtres de même rang, dont l’un d’eux a été le plus souvent socialement déclassé perfidement. Bien que les apparences soient contre lui, l’issue du conte voit le rétablissement, souvent même le perfectionnement, du statut du déclassé. Si le cinéma a largement exploité le genre du conte, il en a aussi extrait l’une des composantes, l’histoire d’amour, à laquelle il lui a adjoint une bonne dose d’humour pour donner naissance à un genre spécifique : la comédie romantique. Décennie après décennie, le genre a vu les causes de la séparation des héros se modifier.
 
A l’issue des "années fric", c’était véritablement une barrière sociale qu’il fallait traverser avec le prince des actionnaires et la reine des trottoirs (Pretty Woman, Gary Marshall, 1990). Prince et princesse ne sont plus de même rang. Julia Robert est un bon étalon mètre sur l’état (piteux) de la comédie romantique. En bonne avant-garde, elle aura fait ou tenté de faire tomber pas mal de barrières : sociales, maritales (Le Mariage de mon meilleur ami, PJ Hogan, 1997), sociétales (le seul intérêt du mollasson Coup de foudre à Notting Hill de Roger Michell en 1998 étant la différence de revenus des héros à l’avantage, pour une fois, de madame)… Tel un bulldozer, elle a enfoncé les clôtures et ne reste aujourd’hui qu’un champ bien ouvert. Certains tentent d’ajouter un nouveau personnage-ingrédient comme artifice de composition (la belle-mère pour Sa Mère ou moi !, la sœur pour In Her Shoes…), d’autres se raccrochent aux problèmes sociaux contemporains (l’immigration dans l’intéressant La Proposition en 2009). La plupart se vautrent dans une course au mariage (Donne-moi ta main dans quelques semaines) ou au bébé (l’affligeant Plan B avec J-Lo, véritable insulte à l’être humain) avec comme sous-texte lisible : sans bague ni larbin, Madame, vous n’êtes rien. N’y a-t-il donc plus de frontières à transgresser dans nos sociétés à l’apparence si libertaire ?
 
 
C’est un peu la question de l’argentin Marco Berger dans son premier long métrage. Reprenant les codes du genre, il joue avec ses personnages en plaçant Monsieur, une fois n’est pas coutume, au premier plan. Bruno (Manuel Vignau) est un mec d’aujourd’hui. Indécis donc. Il s’intéresse à sa copine quand elle lui glisse entre les doigts. Apprenant que son nouveau petit ami, Pablo (Lucas Ferraro), a eu par le passé une expérience homosexuelle, il décide de le séduire pour faciliter la rupture et récupérer l’éplorée désirée. Intrigue des beaux quartiers ? Rebondissements tarabiscotés pour belles héroïnes de sitcoms branchées ? Sauf que princes et princesse n’habitent plus les beaux quartiers new-yorkais, mais des appartements miteux de Buenos Aires. Le petit écran a contaminé les esprits, mais n’offre pas de décor luxueux aux téléspectateurs. La suite de l’histoire est prévisible : Pablo tombe dans son propre piège. Ce qui surprend, c’est la tournure que prend le film. Le réalisateur évite la course aux gags et la multiplication de situations cocasses. Le mensonge du héros ne suscite que le trouble : le sien et celui de Bruno, dont l’expérience gay était une pure invention pour séduire les filles. Plan B conserve la rencontre et la naissance du sentiment amoureux, mais lorgne plutôt vers le drame sentimental et humain. En somme, on ne badine pas avec l’amour.
 
C’est peu dire que Marco Berger s’éloigne des tics du genre. Comme ses personnages, le film prend son temps et porte une attention soutenue à l’espace. Bien plus qu’une simple observation des règles de mise en scène, le respect de la direction des regards participe du découpage spatial et sentimental du film. Les plans s’attardent sur la persistance d’un regard, l’effet d’un geste… Souvent en plan fixe, la scène se donne le temps d’exister et s’apparente à une durée réelle. A l’image des regards, le temps s’étire pour faire naître le sentiment, le trouble et l’attente. La gène, elle, ne viendra que plus tard. La caméra saisit deux corps dans leur environnement, ne cherche pas à les détailler (il n’y a pas d’exploration des corps, ni de morcellement en plans), mais les laisse plutôt affleurer à l’écran. Le corps apparaît donc régulièrement au tout premier plan, allongé en contre-plongée en pied ou en buste. L’intimité naissante entre les deux hommes se double ainsi d’une proximité quasi physique. Bien qu’il y ait finalement peu à voir tant l’intimité réelle est avant tout affaire d’intangible et se passe à la fois de grands mots et de grands gestes. Cette proximité des êtres est couplée à des plans quasi abstraits et monochromes sur la ville rythmant le film et marquant le passage des jours. Les situations comiques et le marivaudage du début ont laissé la place à la découverte de l’autre et à sa reconnaissance.
 

La réussite du film tient justement à son aspect proprement pas spectaculaire. Sa lenteur s’apparente à la prise de conscience du sentiment par les personnages : ouvrir les yeux sur une situation, l’accepter ou pas, se montrer honnête ou pas. Pas de grandes révélations, ni de cris. Marco Berger rejette les artifices et les explications trop grandiloquentes. Le conte se fonde sur un ensemble d’épreuves physiques symboliques pour le dépassement psychologique des personnages. Ici l’épreuve n’est plus qu’entre soi et soi : accepter et faire face au sentiment ou pas. Ainsi Plan B s’apparente sans complexe à la comédie romantique dans ce qu’elle peut avoir de plus noble, l’acceptation de la réalité du sentiment étant au cœur des plus grandes réussites du genre, Rendez-vous de Lubitsch (The Shop around the corner, 1940) en tête.

Une fois n’est pas coutume, un film qui a fait le tour des festivals (Buenos Aires, Rome, Londres…) et a reçu pléthore de prix (meilleur film aux festivals de Melbourne et Toronto) mérite sa réputation. Servi par une réalisation prometteuse et des acteurs remarquables (Manuel Vignau ne démérite pas les deux prix d’interprétations reçus par Lucas Ferraro), Plan B parvient à faire naître sans peine ce qu’on attend le plus d’une comédie romantique et qui fait pourtant cruellement défaut à la plupart de ses avatars contemporains : l’émotion et l’espoir d’un happy end.

Titre original : Plan B

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Durée : 103 mn


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