Familles de cinéma et familles tout court.
D’entrée de jeu et de sortie de générique, on peut dire deux choses de Petites : En premier lieu, qu’il s’agit d’un film d’acteurs, ou plutôt d’actrices. Mises à l’honneur dans un univers féminin, toutes les comédiennes font un admirable travail d’oubli de soi. Toutes s’attachent à livrer des partitions finement observées, très familières, donnant vie à ces personnages qui évoluent, se cherchent, se frôlent et se fâchent dans un centre maternel. Cet attachement pour le travail des interprètes, ce goût pour les performances, vient probablement du passif théâtral de la cinéaste Julie Lerat-Gersant. Ancienne collaboratrice de Thomas Jolly, l’artiste Caennaise est novice en cinéma mais fait de la scène depuis près de 20 ans. On sent qu’elle cherche la vérité dans le jeu, la trouve dans le processus des répétitions et la sublime lors des représentations. Elle en parle d’ailleurs très bien dans l’entretien sur le DVD d’ESC : Elle est gagnée à la cause des actrices, et elle aime voir ce qui se passe quand on les bouscule dans leurs habitudes, quand on les contraint à réinventer leur liberté. C’est pour cette raison qu’elle a souhaité que, derrière la caméra, l’équipe technique soit composée de sorte à être au service de la distribution, et non l’inverse. En second lieu, on peut dire de Petites que c’est un film qui ose. Qui ose l’âpreté, entre autres. Nous ne sommes pas dans un monde sans amour, mais dans un monde sans illusions. Les choses à entendre sont les plus dures, les révélations les plus importantes sont les plus compliquées. Le film a, de toute évidence, un rapport fort au réalisme, y compris social, y compris médical. Cet état de fait-là provient sûrement de la carrière dans la santé du coréalisateur François Roy, en couple à la ville avec Lerat-Gersant.
Qu’est-ce qui a amené Lerat-Gersant et Roy à écrire et réaliser Petites ? Entre les lignes, on croit lire que ça pourrait être la naissance de leur propre fille, Suzanne Roy-Lerat, qui occupe une place importante dans le long-métrage. Curieuse, éveillée, essayant très fort d’intégrer une nouvelle découverte par jour, l’actrice d’à peine trois ans ne joue pas réellement – Ses parents disent avoir « volé » sa performance. Ils l’ont fait avec beaucoup de soin et de tendresse. Leur mise en scène essaye de s’approcher du regard du personnage de Suzanne. Ses scènes sont celles qui vont le plus proposer des parenthèses et des tangentes dans le rythme du récit : C’est cette force lumineuse qu’ont les enfants de changer les règles de n’importe quel jeu, d’amener l’adulte qui veut bien les écouter à percevoir le monde différemment, à entendre la poésie dans moult hésitations, babillages, approximations et bégaiements. C’est peut-être une bonne chose, pour des questions de travail des mineurs, qu’on ne voit pas plus souvent le discours en construction des enfants au cinéma. Mais quand c’est fait de telle manière à ce qu’on ne ressente non pas un désir d’exploitation, mais une vraie affirmation de l’identité de l’enfant en tant qu’individu, on ne peut qu’applaudir le résultat !
Normandie mise à nu.
Petites, donc, fidèle à son titre, est une œuvre peuplée de femmes qui ont plusieurs âges et plusieurs visages. La protagoniste, Camille, enceinte à 16 ans, est une maman-enfant. Interprétée par Pili Groyne, elle a tout de la fougue infinie de l’adolescence. Elle vit à 200 à l’heure, ne s’arrête que quand elle y est forcée. Elle ne se repose que quand elle n’a plus de souffle. Groyne, qu’on avait déjà vu dans la fable Le Tout Nouveau Testament, est incroyablement rodée pour son jeune âge. Selon tel ou tel angle de la caméra, sa juvénilité apparaitra plus ou moins que sa capacité à se faire du mouron. Elle n’est pas totalement irresponsable, elle l’est même moins que sa mère (Victoire Du Bois). Clo, c’est son nom, est aussi une maman-enfant, et c’est en voyant leurs interactions qu’on comprend qu’il y a quelque chose de l’individualité de Camille qui est nié par l’alternance de sa mère entre amour profond mais imparfait et négligence. Camille est un personnage qui apparaît parfois abrasif, irritable, pétulant. Difficile à vivre, elle l’est peut-être par nature, mais c’est multiplié par le nombre de compromis qu’elle fait pour sa mère : Comment lui demander d’en faire plus pour autrui ? Et Groyne, femme-enfant-mangouste-joconde (Les deux premiers qualificatifs vont de soi. Pour les deux autres, respectivement, c’est quelque chose dans le regard, et quelque chose dans les joues), la campe magnifiquement, avec une grande volonté de la comprendre.
Outre Groyne et Roy-Lerat, on retiendra la performance de Romane Bohringer dans le rôle de Nadine. Calme, patiente, mais vivante, Bohringer est dans la « transmission » en tant qu’encadrante au centre maternel. Elle l’était également sur le plateau, en tant qu’actrice confirmée. Sa présence nous aide à établir une cartographie artistique pour Julie Lerat-Gersant : En effet, la réalisatrice avait été consultante sur la série autobiographique de Bohringer, L’Amour flou. À cette cartographie, j’ajoute des liens supplémentaires vers deux œuvres elles aussi tournées en Basse-Normandie. Ouistreham, d’Emmanuel Carrère, était également un film social qui s’intéressait à un cercle féminin situé près de Caen. Et Bowling Saturne, de Patricia Mazuy, très différent, était lui aussi un long-métrage tourné par une réalisatrice mettant en scène sa progéniture. Mazuy aura moins « volé » la performance d’Achille Reggiani (fils de Simon, petit-fils de Serge), l’acteur Caennais étant en pleine vingtaine. Habile et attentif, Petites n’aura pas mérité sa sortie sans grande pompe. On lui souhaite une deuxième vie en DVD. Ressemblait-il trop à d’autres films français pour se faire remarquer ? Sa générosité de point de vue nous semble pourtant hors de l’ordinaire ! Ostensiblement sur le devenir des mères et des filles, l’œuvre trouve le temps de donner de l’épaisseur et du charme à tout le monde, même Bilel Chegrani, touchant en copain de Camille.