Bowling Saturne

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Exercice de virtuose autour du film noir

Le pourpre de l’enfer

Patricia Mazuy à qui l’on doit déjà une dizaine de films à la fois documentaire, film TV, courts et longs-métrages comme les très remarqués Saint-Cyr et Sport de filles, avait envie de faire un film de genre, un film noir, et c’est plutôt réussi. Immergé dans les couleurs pourpres de l’enfer dans une ville fabriquée de toutes pièces à partir de Caen, Deauville et Lisieux, ce bowling sinistre dominé par l’appartement bizarre du père décédé ne donne pas envie de s’y installer commodément pour une partie ou deux. De plus, depuis que le fils vient de le donner en gérance à son demi-frère à la mort de leur père qui en est le propriétaire, l’ambiance devient encore plus glauque. Et tous les ingrédients du film noir sont bien présents depuis le sang, les cadavres et le pavé luisant sous la pluie, les chasseurs et les femmes fatales, sans oublier bien sûr – c’est même indispensable – un serial killer.

Hommage à Nicholas Ray

Le tout donne un film assez plaisant, oscillant entre téléfilm et hommage de qualité à Nicholas Ray, Nagisa Oshima et Park Chan-wook. Patricia Mazuy s’en explique dans le dossier de presse du film en reconnaissant elle-même ces influences : « L’exploration des clichés contenus dans ce qu’on appelle le cinéma de genre, où l’on épure sans cesse, donne finalement la liberté d’être complexe. La voiture, les hommes virils, les femmes qui sortent dehors seules, les cadavres exhibés, le policier, le tueur, le marginal, ce sont les clichés du genre, les ingrédients types du thriller basique. »

Un monde malade

Bien sûr, on peut lire dans ce film en filigrane une réelle tragédie entre deux frères, l’un marginal, l’autre policier, que tout oppose et que tout aussi réunit. Cette tragédie s’étale sur le bowling, sur les alentours, puis sur toute la ville dont on ne voit jamais que des morceaux épars, à partir du moment où les cadavres de femmes assassinées deviennent de plus en plus encombrants. On peut lire en sous-texte bien sûr un récit de polar, mais on peut aller plus loin et y voir la métaphore de notre monde en pleine décomposition. La réalisatrice le reconnaît elle-même : « C’est un film sur l’inconscient d’une société malade, et sur l’héritage du XXe siècle, plein de sauvagerie. Il fallait réussir à le faire comprendre sans passer par les dialogues, et sans être caricatural. Les chasseurs représentent le pouvoir, la richesse. Un safari en Afrique pour tuer un lion ou un hippopotame, c’est leur adrénaline de vie, et cela représente des centaines de milliers d’euros. Ils asservissent tout à la satisfaction de leurs pulsions, et de leur passion. Ils se lancent dans la quête d’un absolu, et en même temps ce sont de vieux beaufs terrifiants qui agissent comme dans une secte antique sûre de son pouvoir absolu. »

Acteurs remarquables

In fine, un film intéressant peut-être un peu trop long mais qui a le mérite de transformer les clichés du récit en pistes pour comprendre la psychologie des personnages et du monde dans lequel nous vivons actuellement avec pas mal de difficultés : rapports entre hommes, dignité de la femme, structure familiale, travail, etc. Et bien sûr, il faut saluer maintenant le scénario que Patricia Mazuy a co-écrit avec Yves Thomas ; le directeur de la photographie, Simon Beaufils pour ses beaux rouges sang ; et les quatre acteurs principaux : Arieh Worthalter , Achille Reggiani (mention spéciale au propre fils de la réalisatrice…), Y-Lan Lucas et Leila Muse.

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Durée : 114 mn


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