L’Amour flou

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Comment gérer le désamour?

La comédie de la vie

Depuis Fellini qui était passé maître dans cet art cinématographique qui consiste à mettre en scène sa propre vie, pour en faire un film qui joue sans cesse entre le vrai et le faux, de nombreux cinéastes s’en sont ensuite inspirés. En effet, plus proches de nous, on peut dire que, par exemple, Two days in Paris (2007) de Julie Delpy ou encore Rock’n Roll (2016) de Guillaume Canet en sont des exemples très réussis parce qu’ils jouent avec la vie réelle du protagoniste réalisateur, transformant de manière souvent comique ou tendre des événements récents ou en cours de sa vie. Fellini avait donné l’exemple en déclenchant un mini-scandale en 1965 avec Juliette des Esprits, dans lequel il mettait en scène sa propre femme, Giulietta Masina, en épouse frustrée et trompée. C’est plutôt vers la comédie à la française, pleine d’humour et de trouvailles, et même vers la comédie du remariage à l’américain chère à Stanley Cavell, que Romane Bohringer et Philippe Rebbot sont allés chercher une source d’inspiration. Ils mettent en scène leur séparation, leur désamour, mais brut de décoffrage, sans afféteries, et avec un côté largement foutraque de saltimbanques qui en fait tout le charme.

 

 

Se mettre en scène

Même si, au départ, on peut se montrer dubitatif devant la réputation ou le jeu des deux acteurs, il faut en faire fi car le film est une belle réussite, pleine de joie, d’inventivité et d’humour. Tout est parti de ce constant d’échec dans la vie, c’est-à-dire que les deux amoureux qui, dans la vraie vie, ont eu deux enfants, ont réalisé qu’ils s’aimaient toujours mais qu’ils ne pouvaient plus partager la même vie. C’est un constat dramatique dans la vie, les gens souvent se déchirent, pleurent, vont même jusqu’à s’entretuer ou se faire des procès interminables. Mais parce qu’ils sont artistes, le couple est parvenu à dépasser ce conflit et à en faire un film comme un exorcisme. Un film qui les a d’ailleurs sauvés de la tristesse et du ressentiment, ainsi que le confie Romane Bohringer au dossier de presse du film : « Par le geste, par la fiction. Je n’ai plus pleuré sur la vente de la maison, je n’ai plus pleuré sur le déménagement. Parce que je pensais à ce qu’il y avait à tourner ! Sans le film, cela aurait sans doute été beaucoup plus douloureux. »

Outre le fait que ce film nous apprend que les deux artistes vivent ensemble, L’amour flou – titre magnifique et évocateur par sa référence à Breton – parvient à saisir la réalité, notamment celle du déménagement et de la création d’un espace de vie commun et séparé, en se basant sur la vie des deux artistes en désamour, mais en la sublimant pour en créer finalement une oeuvre d’art. Du côté, ce film qui aurait très bien pu ne jamais sortir ou rester un monument de nombrilisme et de pathos devient un film à part entière et qui comptera à la fois pour leur famille, mais aussi pour un large public. On y reconnaît les caractères des deux personnages tels qu’on les a déjà vus à l’oeuvre dans d’autres films ou tels qu’on les imagine, même si Philippe Rebbot a consciencieusement gommé son côté clown triste, pour se montrer « charmantissime » comme le signale Romane Bohringer qui, quant à elle, n’a pas hésité à forcer le trait et à se caricaturer.

 

Des acteurs très présents

Un peu comme dans Rock’n Roll de Guillaume Canet, et Two days in Paris de Julie Delpy, le film est interprété par la famille réelle des réalisateurs. Aucun n’est acteur professionnel, hormis bien sûr Richard Bohringer, et il a fallu écrire leurs rôles, mais ils reconnaissent qu’ils sont encore plus réels que dans la vie, et qu’ils apparaissent dans toutes leurs particularités. Le couple de réalisateurs et acteurs est même allé, à la différence de Guillaume Canet, jusqu’à faire jouer ses propres enfants. Le film est, de plus servi par un casting de rêve qui permet des moments d’anthologie, notamment, et pour ne citer qu’eux, Reda Ketab en éleveur de chien, Aurélia Petit en psy, Gavor Rassov en directeur d’école portant moumoute, Aurélien Chaussade en vrai voisin gay, etc. Seul le choix d’une femme politique, Clémentine Autain, dans son propre rôle est quelque peu gênant, mais il paraît que c’est le choix de Philippe Rebbot qui l’adore, chacun ses goûts. Mais le film est un petit bijou qu’il faut courir voir et même Clémentine Autain en devient sympathique, c’est dire.

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Durée : 97 mn


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