Rock’n Roll

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Le cinéma français au stade anal.

On pourra résumer le dernier film de Guillaume Canet à cet examen de proctologie durant lequel l’acteur éponyme s’apprête à se faire tâter la prostate par son praticien. Durant plus de deux heures, le récit ne fera que décliner cette scène à l’infini, l’anus de l’acteur se révélant comme le terrier du lapin blanc dans lequel le spectateur, tel Alice, découvrira avec une impudeur inouïe la constitution de Guillaume Canet à mesure qu’il tombe dans son abîme. Lui-même confessera à son épouse, Marion Cotillard : « Je suis toujours resté le même au fond ». 
Alors, c’est quoi le fond de Guillaume Canet ? Mais surtout, peut-on accorder la moindre légitimité à une telle problématique, dans la perspective d’une œuvre de cinéma ?
 

 
 
Le corps des dieux
 
Naturellement, l’acteur évoluera dans un cauchemar éveillé, à mi-chemin entre la fable surréaliste – à travers une galerie de visions bouffonesques particulièrement vulgaires à force de radicalité  – et l’étalage de sa vie de people, mise en scène comme une suite d’anecdotes Closer – sucreries destinées à satisfaire le désir de pénétrer dans la chambre à coucher du couple glamour .  
 
La thèse du film revient à dire que la vie d’une star, d’une certaine manière, se rapproche plus de celle d’un dieu de l’Olympe que de celle d’un simple mortel. Alors que Canet incarne physiquement l’idéal masculin pour un grand nombre de femmes (et il le sait), le film s’acharne à mettre en scène les regards sur lui comme une source de mépris et d’ignorance. Il faut voir cette scène absolument grotesque, où Canet se met à danser autour de jeunes femmes qui instantanément se détournent de lui, comme si son aura séductrice avait complètement disparu. Cet espace de subjectivité donc, ouvrant sur la paranoïa d’un acteur ne tolérant pas son statut de demi-dieu parmi les dieux, aura le mérite de révéler de manière très limpide le rapport d’une star de cinéma au reste du monde. En fait ce rapport n’a pas de réalité, la star et le reste du monde demeurant fondamentalement déconnectés l’un de l’autre. La figure humaine n’existe donc pas, réduite ponctuellement à des mains brandissant leur smartphone vers le corps céleste des stars. La souffrance de l’acteur vis-à-vis de sa condition ne fonctionne que parce que, d’une part, l’unité de mesure adoptée demeure la célébrité, et d’autre part, le concept de mortalité est une donnée intolérable pour Canet, en ce qu’elle va à l’encontre de la mythologie de l’acteur. Mythologie que démontait à juste titre Roland Barthes, en disséquant les photographies Harcourt, dont la composition visait précisément à déraciner l’acteur de ses origines terrestres. 
 
Peut-être que la seule réussite du film réside dans l’apparition de Marion Cotillard, elle qui semble appartenir à une couche existentielle supérieure, où la demi-divinité s’est transformée en divinité pure, en ce qu’elle ne côtoie rien d’autre que sa famille proche et son travail ; sa nature planante, voire déconnectée, la faisant apparaître comme une créature de cinéma solitaire. Mais Canet ne parvient même pas à faire tenir cette idée dans la longueur. La vulgarité, caractéristique majeure du film, la touchera finalement et finira par la contaminer elle aussi. Dans une scène au lit entre les deux comédiens, un son de pet survient, mais il semble impossible d’en identifier le responsable. L’idée même qu’il puisse subsister une incertitude révèle l’inconsistance de Canet sur le seul sujet qui aurait pu habiter le film : le portrait d’une femme, Marion Cotillard, mais surtout d’une actrice, dont la destinée écrase littéralement la petite carrure de l’acteur/réalisateur. 
 

 
Guillaume Canet dans le cinéma français/le cinéma français dans Guillaume Canet
 
Au fil de notre voyage dans les viscères de Guillaume Canet, les visions constituant sa précieuse intériorité glisseront progressivement vers un ton surréaliste, révélant, à terme, le subconscient du cinéma français dans sa forme brute, innocente, à son stade anal. En substance, il semble nécessaire d’explorer les entrailles d’un corps de star, afin de capter l’essence du cinéma qui l’a vu naître. A l’inverse, on pourrait se demander : qu’est-ce donc que le cinéma contemporain français, sinon un ventre, dont le récit coulerait comme un liquide amniotique, aménagé sur mesure pour contenir et conforter le corps d’une star ? 
Canet lui-même finira par vociférer au réalisateur qui le dirige, alors dégoûté par son propre corps : « Le cinéma, c’est la vérité, c’est les viscères putain ! »
 
Étude intéressante de démythologisation de l’acteur, par l’examen de sa planche anatomique et de ses propres déjections ; Canet nous montre ses fesses, projette son vomi à l’issue d’une soirée, nous fait entendre ses gaz dans un moment d’intimité partagée. Sa première apparition ainsi que ses premières répliques seront quant à elles centrées sur ses testicules. Il semble alors avoir signé alors un véritable pacte avec ses spectateurs promettant de tout leur montrer.
 
Les enfants dégénérés
 
La question que nous pouvons légétimement nous poser à l’issue de cette dissection, c’est celle posée initialement par Fellini : « De quel droit me montre-t-on ce film ? »
Bien que Rock’n’Roll soit un précieux document d’analyse du paysage cinématographique actuel, il n’en témoigne pas moins d’une abjecte entreprise de complaisance et de nombrilisme. L’existence d’un tel film, dans sa manière totalement décomplexée d’afficher ses intentions moribondes, son acharnement à montrer le même groupe d’acteurs parlant d’eux-mêmes, citant même leurs films précédents, démontre la vocation d’un cinéma à accoucher éternellement de lui-même, avec à chaque nouvelle progéniture, un cran supplémentaire franchi dans la morbidité. De cette morbidité découle de la mise en abîme sans fin d’un cinéma qui n’a plus à s’embarrasser du cinéma, trop conscient que l’acteur est devenu son unique ressource. A force de répétitions, voire radicalisation du même schéma, les films issus de ce processus régressif semblent de plus en plus consanguins, mutants, leurs excroissances étranges finissant par dévorer la fiction.
 
Dans cette perspective jusqu’au-boutiste, Canet n’aura d’autre issue que de détruire son corps par la chirurgie esthétique et le bodybuilding, devenant un monstre, à l’image du film. Sous le glaçage publicitaire initial – difficile d’être jeune et rock’n’roll à quarante ans – le film révèle tout autre chose : à l’issue de son entreprise de démolition de sa propre image, Canet recouvre son corps d’une couche de chair neuve et, faute de disparaître, finira par rendre visible ce qui restait jusqu’alors au dedans. Comme une chaussette que l’on retournerait, Canet finit par montrer, au terme de sa métamorphose, son vrai visage, boursoufflé par la vanité, difforme à force de célébrité. 
Devenu un freak pourchassé par les paparazzis, et mitraillé par les smartphones des « petites gens » qu’il exècre, Canet n’en restera pas moins célèbre, et n’en finira plus d’attirer les regards sur son corps, non pas détruit, mais simplement révélé par son processus de démythologisation.
 
Épuisé, il se résoudra à partir sur le continent américain, où son corps enflé de muscles trouvera naturellement une utilisation cartoonesque et grossière. Une cure de repos pour un Guillaume Canet qui n’en pouvait plus de cacher ses muqueuses. Un Canet enfin libre d’exposer sa chair célèbre dans son entière vulgarité. Ce sera également une terre d’asile pour Canet/Cotillard, dont l’accouplement sera restauré, réinitialisé – où le rapport anthropophage du couple pourra se poursuivre en toute sérénité. 
Un peu comme Gilles Lelouche et Jean Dujardin, qui, à la fin du film Les Infidèles, s’exilaient à Las Vegas pour enfin s’autoriser à assouvir leur désir le plus révélateur ; se sodomiser l’un l’autre.
 

Titre original : Rock'n Roll

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Durée : 123 mn


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