Après les succès énormes des Douze Salopards et Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, Robert Aldrich se trouve dans une position des plus confortables à Hollywood. Cette liberté lui permet de réactiver sa société de production, « Associates and Aldrich », en berne depuis la petite traversée du désert qu’il connut à la fin des années 50. Le réalisateur entame ainsi le second âge d’or de sa carrière au début des années 70 (période considérée comme sa meilleure par de nombreux fans dont Quentin Tarantino), fort en projets audacieux. L’extravagant et outrancier Pas d’orchidées pour Miss Blandish sera une des grandes marques de cette embellie.
Galerie de monstres
Adapté d’un roman de James Hadley Chase, The Grissom Gang s’inscrit dans le revival des films de gangsters ayant pour cadre la Grande Dépression, lancé par le Bonnie and Clyde d’Arthur Penn. Cette époque troublée va s’avérer le cadre idéal pour un récit chargé de bruit et de fureur. On connaît le goût d’Aldrich pour les personnages excessifs et violents : le contrôleur de train sadique, adepte du marteau dans L’Empereur du Nord, la vieille fille revêche que joue Bette Davis dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? ou un Telly Savalas à la piété meurtrière dans Les Douze Salopards, sont là pour en témoigner.
En partie inspiré par la vraie bande de Ma’ Baker qui sema la terreur dans les années 30, le gang des Grissom offre un éventail de choix au réalisateur. Les amateurs de Lucky Luke ne manquent pas d’y voir une famille Dalton ultra violente et pour le moins dégénérée. Rapprochement étonnant (Aldrich n’est pas fan de Morris et Goscinny à notre connaissance) mais soulignant la nature grotesque des figures qui nous sont présentées. Campée par une Irene Dailey enragée, Ma’ Grissom dirige d’une main de fer la vie de sa petite famille. Elle met au point les plans, administre des raclées mémorables et n’hésite pas à empoigner la mitrailleuse lors d’un final dantesque où elle fait face à toute la police de Kansas City. Le reste de la famille est à l’avenant, entre le sournois Eddie (joué par l’italo-américain Tony Musante, habitué de la série B musclée des 70’s) et surtout le terrifiant Slim, psychopathe en puissance à l’équilibre mental précaire (impressionnant Scott Wilson).
Le scénario narrant l’enlèvement d’une jeune héritière par ces joyeux drilles, tous les éléments semblent converger vers une œuvre grand guignol à la Baby Jane. L’atmosphère oppressante et poisseuse (avec des personnages constamment en nage) de ce huis clos rural lorgne ainsi ouvertement sur le succès de 1962 (et sur son pendant plus horrifique sorti deux ans plus tard, Chut… Chut… Chère Charlotte). L’opposition entre le physique poupin de Kim Darby/Barbara Blandish et la repoussante famille Grissom accentue davantage encore le malaise, et le revirement orchestré par Aldrich n’en sera que plus déstabilisant.
Passion interdite
Après la description de la famille Grissom, on aura tôt fait de voir en Miss Blandish un agneau jeté en pâture aux loups. Pourtant Aldrich bouleverse le manichéisme de départ avec l’improbable histoire d’amour entre le gangster simple d’esprit, Slim, terrifiante boule de nerfs à la rage contenue et Barbara. Loin de tomber dans les clichés sur le syndrome de Stockholm, leur attirance réciproque est très intelligemment amenée : Barbara cède d’abord pour sauver sa vie avant d’éprouver de réels sentiments pour Slim, ce dernier dissimulant une vraie tendresse sous ses instincts meurtriers. Le rapport de force entre les deux est également surprenant et maintient longuement l’ambiguïté. À mille lieues de l’oie blanche annoncée, Barbara se révèle être une sale gosse colérique et capricieuse, manipulant Slim comme elle le faisait autrefois avec son père. Faisant face pour la première fois à une autre opposition que la force brute et la violence, Slim est quant à lui totalement décontenancé et cède à tous ses désirs. Aldrich parvient à bouleverser totalement les points de vue sans pour autant atténuer la nature profonde de ses héros. Slim demeure ainsi le tueur impitoyable du début, mais parvient à nous toucher par son amour pur et sincère pour Barbara ainsi que sa naïveté en matière de sexe.
Le basculement se fait en deux temps. Tout d’abord, lorsque Barbara cède pour la première fois à Slim, après moult disputes et moqueries. Ayant découvert que les Grissom ont touché sa rançon depuis longtemps et qu’elle ne doit la vie sauve qu’à la terreur que leur inspire la réaction de Slim, elle décide de le remercier. Aldrich délaisse le ton agressif employé depuis le début pour cette première manifestation de tendresse. Cependant, le jeu de Kim Darby, entre reconnaissance, instinct de survie et sentiments naissants, maintient habilement le doute. La séquence finale où les deux amants traqués sont dissimulés dans une grange va dissiper les dernières craintes. Un vrai ton intimiste et tendre s’instaure lorsque Barbara supplie Slim de rester en vie quand lui ne voit que la mort comme ultime remède à une séparation annoncée. La caméra d‘Aldrich se fait douce et statique en filmant au plus près les dialogues de ces amoureux se regardant enfin droit dans les yeux. Puis, elle s’éloigne lorsque, pour la première fois, Barbara se « donne » réellement à Slim lors d’une ultime étreinte. Enfin les deux personnages ne forment plus qu’un.
Le lien ténu entre le bien et le mal aura toujours été une constante dans l’œuvre d’Aldrich. La conclusion de Baby Jane ou la relation Lancaster/Cooper de Vera Cruz sont là pour en attester. Hormis les scènes de couple dans Pas d’Orchidées…, certaines tranches de vie des Grissom étonnent par la familiarité qui s’en dégage, telle l’hilarité générale provoquée par l’arrivée en costume de Slim ou la séparation réellement touchante entre Ma’ et son homme, avant le chaos final.
Seuls contre tous
À partir du milieu des années 60, un vent de liberté souffle sur le cinéma américain. Les réalisateurs du « Nouvel Hollywood » introduisent des thèmes parlant directement aux jeunes générations, tels que l’incompréhension du monde des adultes et la rébellion face à l’autorité. Bonnie and Clyde, couple criminel et rebelle défiant la police, Le Lauréat et son improbable conclusion ou Les Amants de la nuit de Nicholas Ray (qui a fait office de précurseur avec ses amants en cavale) en sont imprégnés. La simplicité touchante vers laquelle tend la dernière partie de Pas d’orchidées pour Miss Blandish dévoile une facette plus sentimentale du cinéma d’Aldrich. Le finale véhicule un bel esprit libertaire : les institutions incarnées par le père (dégoûté par sa fille désormais « impure ») ne valent pas mieux que les Grissom qui ont au moins le mérite d’afficher leur monstruosité au grand jour, tout en ayant paradoxalement représenté la seule cellule familiale relativement unie du film.
En constituant un couple contre nature et marginal, en faisant d’un tueur psychotique un héros romantique, Aldrich s’approprie l’idéologie de la jeune génération pour la faire sienne. C’est donc sur un poignant plan fixe que le film s’achève, avec pour dernière image le regard égaré de Kim, seule et désormais la proie d’autres fauves, ceux de la presse…