Palmarès du Festival de Cannes 2018

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Alors que l’édition 2018 était annoncée comme une « petite » année au Festival de Cannes – comprendre une année plus cinéphile et pointue dans la programmation des films, hier au Palmarès, ce sont des films engagés, des histoires de famille et de pauvreté qui ont tout gagné. Très beau Palmarès, on vous raconte les détails.

Manbiki Kazoku (Une affaire de famille) de Kore-Eda Hirokazu : Palme d’Or

Parfois à Cannes, pendant le Festival, on a de la chance. Alors que j’avais raté le film de Kore-Eda en projection de 8h30 pour la presse, j’ai pu le rattraper le dernier samedi du festival, jour où l’on peut revoir tous les films de la Compétition Officielle. Et c’est dans les couloirs du Palais des Festivals que l’on m’avait soufflé l’idée de ne pas le louper. Quel est le point commun de ce réalisateur japonais, à qui l’on doit de très bons films comme Tel père, tel fils,I wish, Notre petite sœur, Nobody Knows ou Après la tempête… ? La famille bien sûr, mais aussi les rapports complexes que la société japonaise exhume.

Avec ce film, Une affaire de famille, Kore-Eda nous plonge dans l’histoire touchante de plusieurs personnages qui forment un cocon, dans la pauvreté et l’amour. Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitaient. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets.

On comprend la Palme d’Or. C’est un très bon film, touchant sans plonger dans le sentimentalisme, bien réalisé, avec une histoire forte et originale. Les enfants, dirigés à la perfection pour Kore-Eda sont très convaincants et portent l’histoire. C’est un autre visage du Japon que l’on découvre, on s’attache aux personnages, on se laisse bercer par leur quotidien difficile et en même temps, leur force.

Un Grand Prix pour Spike Lee, Un Prix du Jury pour Nadine Labaki et un Prix de la mise en scène pour Pawel Pawlikowski

On aurait aimé, comme rapporté les jours précédents, que Capharnaüm reçoive la Palme d’Or, tout comme Cold War. Ils ne sont pas en reste dans le Palmarès avec deux très belles récompenses, respectivement le Prix du Jury et le Prix de la mise en scène. Dans la même veine que le film de Kore-Eda, Nadine Labaki a su toucher le jury, de Cate Blanchett à Léa Seydoux, Kristen Stewart ou Robert Guédiguian avec des enfants divinement dirigés, une mise en lumière de leur combat au quotidien pour se faire entendre, faire valoir leurs droits et se protéger. Le discours de la réalisatrice à la réception de son prix a été d’une beauté rare, très engagé et concerné par ce que dit son film : le cinéma a un pouvoir, et les cinéastes peuvent s’en saisir.

Comme Spike Lee, Grand Prix du Festival cette année, avec son film Blackkklansman sur l’histoire folle d’un flic noir aux États-Unis qui a infiltré le Ku Klux Klan. Au-delà de l’histoire, Spike Lee signe un vrai réquisitoire contre Trump et dénonce, à sa manière, le racisme, l’antisémitisme ambiant aux USA, encore aujourd’hui. Des récompenses très ciblées sur des films engagés, en lutte, de pouvoir, voilà ce qui résulte de cette édition.

Samal Yeslyamova meilleure actrice, Marcello Fonte meilleur acteur

Non, vous n’avez sans doute jamais entendu ces noms d’acteurs. Je ne vous cache pas ma surprise, car Samal Yeslyamova est l’actrice principale du film Ayka, réalisé par Sergey Dvortsevoy, vu et très vite oublié malheureusement. Ayka vient d’accoucher. Elle ne peut pas se permettre d’avoir un enfant. Elle n’a pas de travail, trop de dettes à rembourser, même pas une chambre à elle. Mais c’est compter sans la nature, qui reprendra ses droits. Ce film Russe n’a pas du tout été agréable à voir, tourné presque avec une sensation d’une caméra à l’épaule ou embarquée, même si le thème est intéressant, le mal de mère. On capte très bien la volonté du réalisateur russe, donner un point de vue presque documentaire sur la maternité. Mais on ne comprend pas vraiment l’intention finale, donnée à voir pour réfléchir ou simplement, le manque d’un scénario plus étoffé pour nous embarquer.

Autre monde avec Dogman de Matteo Garrone, qui obtient donc avec son acteur principal un prix cette année. Après Gomorra, Reality ou l’excellent Tale of Tales, Matteo Garrone nous emmène dans une banlieue déshéritée. Marcello, toiletteur pour chiens discret et apprécié de tous, voit revenir de prison son ami Simoncino, un ancien boxeur accro à la cocaïne qui, très vite, rackette et brutalise le quartier. D’abord confiant, Marcello se laisse entraîner malgré lui dans une spirale criminelle. Il fait alors l’apprentissage de la trahison et de l’abandon, avant d’imaginer une vengeance féroce. Un prix très largement mérité pour cet acteur fabuleux.

Prix du scénario pour Lazzaro Felice d’Alice Rohrwacher et Se Rokh (trois visages) de Jafar Panahi. Palme d’Or spéciale pour Le Livre d’image de Jean-Luc Godard

Ils n’ont sans doute pas réussi à se décider car cette année, le jury de Cate Blanchett a nommé ex-aequo Heureux comme Lazzaro de la très bonne réalisatrice italienne Alice Rohrwacher et Trois visages de Jafar Panahi, meilleurs Prix du scénario. Un choix intéressant, les deux films proposent effectivement un regard original et une écriture loin du déjà vu.

Ils se démarquent des autres films en proposant aux spectateurs quelque chose d’authentique, de sincère, de prenant. Notamment le long métrage d’Alice Rohrwacher où, Lazzaro, un jeune paysan d’une bonté exceptionnelle vit à l’Inviolata, un hameau resté à l’écart du monde sur lequel règne la marquise Alfonsina de Luna. La vie des paysans est inchangée depuis toujours, ils sont exploités, et à leur tour, ils abusent de la bonté de Lazzaro. Un été, il se lie d’amitié avec Tancredi, le fils de la marquise. Une amitié si précieuse qu’elle lui fera traverser le temps et mènera Lazzaro au monde moderne. Pas de sortie prévue encore mais il faut attendre le 6 juin pour le film de Jafar Panahi.

Une superbe caméra d’Or cette année : Girl, de Lukas Dhont

Sélectionné dans la catégorie Un Certain Regard, le film du réalisateur Belge Lukas Dhont aborde avec brio le transgenre, ou plutôt le fait d’être une femme enfermée dans un corps d’homme, même à l’adolescence. Surtout si l’on aime la danse classique, avec ses pointes et ses tutus serrés. Même si en soi, le thème a déjà été abordé par plusieurs autres réalisateurs, Lukas Dhont le fait avec une très belle maîtrise de son sujet et de la caméra. On est très vite touché par Lara, un personnage doux, sensible, émouvant. Le film a reçu un autre prix, celui du prix d’interprétation pour Victor Polster, qui joue Lara, dans le cadre de la sélection Un Certain Regard (présidé par Benicio del Toro). Mérité grandement et à voir au cinéma le 10 octobre.


Sélections parallèles, les grands gagnants sont…

Le Prix Un Certain Regard a été remis à Border (Gräns) d’Ali Abbasi. L’histoire de Tina, douanière à l’efficacité redoutable, connue pour son odorat extraordinaire. C’est presque comme si elle pouvait flairer la culpabilité d’un individu. Mais quand Vore, un homme d’apparence suspecte, passe devant elle, ses capacités sont mises à l’épreuve pour la première fois. Tina sait que Vore cache quelque chose, mais n’arrive pas à identifier quoi. Pire encore, elle ressent une étrange attirance pour lui… Et le Prix du Jury Un Certain Regard revient à Chuva é cantoria na aldeia dos mortos (Les morts et les autres) de João Salaviza et Renée Nader Messora.

La Semaine de la Critique, dont le jury était présidé par Joachim Trier, a récompensé Diamantino (Grand Prix Nespresso) de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt. Diamantino, icône absolue du football, est capable à lui seul de déjouer les défenses les plus redoutables. Alors qu’il joue le match le plus important de sa vie, son génie n’opère plus. Sa carrière est stoppée net, et la star déchue cherche un sens à sa vie. Commence alors une folle odyssée, où se confronteront néo-fascisme, crise des migrants, trafics génétiques délirants et quête effrénée de la perfection.

La Quinzaine des Réalisateurs a récompensé notre favori de la sélection, Climax de Gaspar Noé. Mais aussi En Liberté ! de Pierre Salvadori, une comédie très attachante et aux cascades folles.

C’était une année plus engagée à Cannes, avec des films sur la guerre, la famille et la pauvreté. On notera surtout 16 films LGBT, deux fois plus que l’année dernière, une montée des Marches de femmes actrices, réalisatrices, productrices mémorable et le premier film Kenyan présenté au Festival, Rafiki. Une année riche en émotions, en films plus pointus.

Vivement l’année prochaine, sur Il était une fois le cinéma !

 

Crédit photo de couverture : Sébastien Vincent


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