Onze minutes

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Onze minutes au bord du gouffre.

Jerzy Skolimowski se fait discret : en comptant celui-ci, trois films en neuf ans, avec Quatre nuits avec Anna et The Essential Killing, qui nous avait rappelé à quel point un cinéaste de sa trempe nous manquait. Désormais, le cinéaste alterne entre peinture et cinéma, et, si en interview il dégage une drôle de sensation d’apaisement, on a la preuve avec son nouveau film qu’une flamme vivote toujours. Quel sentiment de gâchis de ne pouvoir voir son film qu’en 2017 alors qu’il était à Venise en 2015 ! Onze minutes ne sera sans doute pas retenu comme le meilleur film de Skolimowski, mais l’énergie déployée par ce film polyphonique, sa vivacité, sa concision et son inventivité formelle font de ces retrouvailles avec le cinéaste polonais un véritable plaisir défendu.
 
 

 

Vertige du monde moderne…


Les onze dernières minutes de onze personnages, autour de la chambre 1111. Ce sont des destins divers : un marchand de hot-dogs, son fils coursier-livreur de coke, une ambulancière, une actrice, un chien… Tous vont converger vers le même point, le même événement, et vers une mort certaine. Pas besoin d’avoir lu le synopsis avant de se caler dans son siège de cinéma, une curieuse impression nous happe dès le prologue : la mort plane. Peut-être est-ce dû à ces premières minutes, successivement filmées grâce à un smartphone, des caméras de surveillance, la webcam d’un pc portable, qui nous font partager soit l’intimité de ses personnages, soit avec une distance mécanique leur seule présence. Ainsi, le personnage d’Hellman, petit ami jaloux et bagarreur, se retrouve dédoublé par les écrans d’un commissariat qui nous renvoient précisément le plan projeté devant nos yeux : peut-être ne sommes nous, pareils à ces écrans, qu’une toute petite fenêtre sur le monde, destinés à effectuer ce passage, tôt ou tard, à n’être qu’en deux dimensions. De là à ce que cela soit sur une sex-tape, il n’y a qu’un pas.

Car, bien que le procédé formel usé par Skolimowski ne soit pas pour autant révolutionnaire, et que certaines trajectoires s’avèrent moins intéressantes à suivre (le soudeur, la jeune fille et son chien), le déroulé en mosaïque du récit permet néanmoins de lancer de fausses pistes et de renouveler notre attention. Car après tout, l’usage des écrans et la critique de la multiplication des images produites par le tout-venant n’est pas des plus originales. Sur ce point-là, rien de nouveau sous la critique ou sur les analogies que produit le cinéma depuis le numérique : société des écrans, risque d’être enregistré, filmé à son insu pour obtenir du chantage,… Néanmoins subiste un plan très beau : celui du capteur de visages sur un camescope, ressemblant à une cible, traquant dans son propre cadre le visage d’une femme. La société dépeinte dans Onze minutes oppose le haut et le bas, l’hôtel de luxe et le penthouse à la rue, et à un immeuble insalubre, gardé par un fou. Varsovie comme la nouvelle Babylone, méconnaissable, avec toutes ces tours de verre qui s’élèvent de toutes mégalopoles. Reste le clocher, indiquant l’heure, comme si tout ce qui restait n’était que le temps. Onze minutes.

 

Le soleil noir 

Ambiance apocalyptique certaine, relayée par un étrange message sur une télévision – Tu sais que c’est la fin, la télé catalysant la peur de la fin du monde – correspondant sans doute au désir d’un personnage, après avoir fait un hold up dans un magasin vide, d’en finir avec le monde dans lequel il vit. Métaphore du capitalisme aliénant, jouant sur les désirs des classes moins aisées de s’élever mais ne permettant par leur ascension, profitant plutôt de les dominer. Là aussi, discours engagé, mais certes convenu sur le monde actuel.

Un détail cependant : ce jeune illuminé rencontre un peintre dans le bus et observe une tâche noire dans le ciel de son aquarelle. "Vous aussi vous l’avez vue" dit-il au peintre, sans savoir que cette tâche est un accident : c’est parce que le peintre a cru assister à un suicide que, interdit devant cet acte, il a oublié que son pinceau gouttait sur sa feuille, laissant une trace pareille à un soleil noir sur son aquarelle. Dans la séquence d’après, cette tâche se retrouve être un pixel mort. Rime visuelle, mais surtout mystère irrésolu alors que cette structure narrative permet, grâce à des angles différents, de pouvoir renverser notre vision d’un événement, de l’inclure dans un contexte élargi, voire de l’expliciter. Ainsi, ce qui apparaît de prime abord comme un signe fait partie d’une causalité.

Cette ambiance de fin du monde ne serait donc que déterminée par un fort point de vue subjectif. C’est là où se trouve le principal intérêt du film : la multiplication des écrans et de ces trajectoires convergentes, c’est l’affirmation de ces onze points de vue. Et par là-même, l’affirmation du cinéma lui-même comme medium privilégié pour exprimer la subjectivité : les ellipses étranges de la première séquence du prologue, et celles sur smartphone, comme un prolongement de la mémoire, oscillant entre la précision et la confusion.

Titre original : 11 minutes

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Durée : 81 mn


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