Dans le port de Sainte Maxime, un homme (Pascal Cervo) et une femme (Astrid Adverbe) se retrouvent, parlent, parfois chantent et dansent, quatre nuits durant, au bord de l’eau. Lui est instituteur en année sabbatique ; elle attend l’homme qu’elle aime et qui lui a promis de venir la retrouver, une nuit prochaine, sur la jetée. Fédor, c’est lui, est un rêveur qui se voudrait cynique et Natacha, c’est elle, une jeune femme fantasque qui se voudrait libre. Elle lui promet de le revoir, dit-elle, s’il lui jure de ne pas tomber amoureux. Et il jure, il restera son confident, c’est sûr.

Sans vouloir faire de jeu de mots pathétique, c’est un film dans lequel il faut se jeter, comme il a été réalisé : sans filets. En acceptant tout, même les toutes premières minutes susceptibles d’amener le spectateur le plus ouvert à se demander « mais qu’est-ce que c’est que ça ? ». Ce qui est, au fond, une question légitime : filmé en trois nuits à l’aide d’un appareil photo numérique et d’un iPhone pour les quelques scènes diurnes, mi-film étudiant mi-film concept, Nuits blanches… est un objet filmique curieux, espèce en voie de disparition dans les sorties du mercredi. Aussi déroutant dans sa mise en scène minimaliste (alternance de longs plans fixes et de travellings suivant les déplacements des personnages) que dans ses dialogues littéraires (repris de la nouvelle et des Carnets du sous-sol du même auteur russe), il est pourtant impossible de descendre en chemin, le film nous a déjà envoutés.
Nuits blanches sur la jetée a la même grâce étrange et casse-gueule que les réalisations d’Eugène Green ; quelque chose comme un premier degré dont on ne sait pas s’il est audacieux ou suicidaire, beau ou ridicule, ou bien un peu des deux à la fois. Hors du temps – on s’y traite de « gourgandine » et l’on « galèje » tout en recevant des appels sur son smartphone -, le film évoque Le Pont des Arts (Eugène Green, 2004) où les dialogues entremêlaient banalité et philosophie dans un même flot baroque. Même l’improbable, qui pourrait être prétexte au rire ou à la moquerie, devient ici fulgurance qui nous captive, à l’image de cette séquence de danse improvisée qui pourrait durer sans que jamais nous ne nous en lassions.

NB : Le Grand Action propose une rétrospective « Paul Vecchiali, le franc-tireur du cinéma français » à partir du 11 février 2015