A la fois sombre et très coloré, Notre paradis explore des univers dont il tire le plus fort potentiel poétique, naviguant entre rêve et cauchemar. Des appartements bourgeois des clients de Vassili à la nuit des rues parisiennes, du bois de Boulogne, du bistrot provincial où travaille Anna, l’ancienne amie de Vassili (Béatrice Dalle), à la maison du vieil homme, Victor, qui entretient Vassili, petit palais à flanc de montagne, le cinéaste fait preuve d’une belle capacité à incarner la sensorialité du décor et à jouer de sa force d’évocation. Cela passe avant tout par une attention particulière accordée à l’intensité des couleurs, à se jouer de la lumière et du décor dans la démarche d’un peintre. Une manière de donner à l’image un aspect très physique, et cela dès les premiers plans. A la dureté des changements de tons dans les scènes parisiennes, propices à l’expression des pulsions meurtrières de Vassili, succède la douceur et la chaleur de ceux de l’escale provinciale (dès la première scène de magie à laquelle participe Béatrice Dalle), et enfin l’inquiétante uniformité de ceux de la maison de Victor (couleurs froides de l’intérieur, gris de l’extérieur), prise dans une neige annonçant sans doute possible un triste dénouement. Cette très forte présence du décor contribue à une stylisation de l’image qui donne corps à l’intensité des enjeux émotionnels tout en renforçant les sensations de rupture.
Notre paradis est également un beau film sur la fin d’une adolescence prolongée, celle de Vassili, et sur son éveil difficile quand devenant trop vieux pour continuer à « exercer », il se voit préférer par ses propres clients le bel Angelo d’au moins vingt ans son cadet. Si la première partie tisse discrètement un lien fort et indéchiffrable entre la haine de soi de Vassili et ses pulsions meurtrières, la deuxième s’engage sur les voies de l’apaisement par la confrontation du couple criminel avec Anna (Dalle) et son jeune fils, également prénommé Vassili. Quelques scènes ouvrent ainsi une parenthèse pacifiée : un tour de magie, quelques promenades, des complicités naissantes ou retrouvées. Le corps d’Anna, également alourdi par les ans, semble un moment proposer, aux côtés de celui de Vassili un écho salvateur, permettant aux histoires passées de resurgir dans l’acceptation du vieillissement. Mais c’est la fuite en avant qui reprendra le dessus, et avec elle les meurtres crapuleux. S’il maintient une certaine opacité autour du comportement criminel de son personnage, le cinéaste livre néanmoins quelques clés. Il s’agit toujours de faire taire, d’effacer, de faire disparaître, de dénier. Se faire disparaître également soi-même en allant se trouver un endroit où vivre hors du temps avec un ange. Le film a la force de ce grondement intérieur, de cette lutte avec soi-même, qui naît dans l’image par de grands éclats de couleur.