Quand la grande Histoire croise le chemin de l´expérience personnelle, elle ne le fait généralement pas sans heurts. Surtout lorsque l´expérience en question est celle d´un enfant. Neuf moments particuliers, neufs souvenirs d´enfance sont ainsi retranscrits à travers neufs épisodes d´une dizaine de minutes chacun. La narration elliptique de cette collision transcendante confère à l´oeuvre d´Henry Colomer une approche singulière mais néanmoins difficilement saisissable…
A la fin des années 50, dans les Pyrénées-Orientales, une famille voit son existence chamboulée par les événements politiques de l´époque : le père est amené à participer à la guerre d´Algérie, tandis que son épouse (Sarah Grapin) et leurs deux jeunes garçons vont devoir apprendre à vivre dans l´incertitude. L´aîné (interprété par Quentin Testas), se retrouve soudainement à la croisée d´une réalité pas toujours compréhensible et du monde rassurant de son imagination.
Monter un film en neuf séquences distinctes pour << se glisser dans les sensations d´un enfant, explorer avec lui la trame d´un monde où tout résonne >> semblait être une idée à l´originalité plutôt alléchante. Chaque souvenir est marqué d´un titre, débute et prend fin sur un fondu au noir. Neuf petites histoires vécues qui se sont gravées profondément dans l´esprit d´un jeune garçon arrivé au seuil de l´adolescence et qui, aujourd´hui adulte, se souvient. Du décès de sa grand-mère à l´engagement de son père dans la guerre, son existence se transforme crescendo. L´actualité de l´époque quant à elle s´immisce nonchalamment dans cette vie déjà fragile. Les images d´archives (télévision et journaux) du lancement du satellite Spoutnik, ou encore de la bombe atomique, témoignent explicitement du contexte de transition dans lequel se trouvait le monde, à l´aube des années 60. Les mélodies qui accompagnent discrètement la narration renforcent d´ailleurs ce rapport de transition au temps autour duquel s´articule le film. Le titre, Nocturnes, rappelle d´ailleurs selon le réalisateur << la tradition des musiques de la nuit (on entend spontanément les sourdines, on devine le si bémol mineur, les << pppp >> des phrases pianissimo). >>
L´effet << scénettes >> provoqué par la réalisation finit pourtant par déranger. Si l´intention était de transmettre tout simplement des morceaux de souvenirs d´enfant, le résultat final laisse malheureusement un goût de frustration. La caméra d´Henry Colomer se focalise sur l´enfant lui-même plutôt que sur ce qui gravite autour de lui. Les autres personnages ne sont que suggérés (la mère, le frère cadet), tandis que les événements politiques extérieurs ne semblent qu´effleurer l´histoire. La collision tant attendue ne se fait que trop implicitement. Quant à la narration elle-même, son élan est sans cesse freiné par la réalisation en épisodes, quitte à susciter l´ennui.
Il faut néanmoins reconnaître que l´esthétique des plans en noir et blanc est impeccable. Les expressions des personnages sont sublimées. L´innocence du frère cadet et la souffrance de la mère alimentent l´atmosphère incertaine du film : or il semble que trop peu de place leur est consacrée pour qu´ils parviennent à créer un réel intérêt chez le spectateur. Henry Colomer nous offre tout de même quelques scènes enchanteresses, comme celles du cachalot échoué sur le sable, des lucioles sur la terrasse du restaurant ou encore de la partie de mikados en famille. Le flou dans lequel le spectateur est plongé, durant plus de 90 minutes, résulte peut-être finalement de la sensibilité trop intense que le réalisateur a réservé à l´univers de l´enfance. On ressort de Nocturnes, premier long-métrage de cinéma d´Henry Colomer, soit agréablement chamboulé, soit perplexe.