Ne change rien

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C´est un chant d´amour en l´honneur de Jeanne Balibar, actrice française magique qui ne cesse de se bonifier avec le temps et dont la grâce a sauvé récemment d´une certaine maladresse « L´Idiot » de Pierre Léon.

Et en la voyant occuper tout l’espace de ce très beau noir et blanc, vivante, luminescente par moment, triste, préoccupée, on se dit qu’elle aurait fait merveille dans "Etreintes Brisées", le dernier Almodóvar, à la place de la trop statique Penelope Cruz.

Le film commence, et se poursuit d’ailleurs, par de longs plans fixes dans une salle de répétition, ou un appartement, ou sur une scène (on dirait celle des Bouffes du Nord), ou au Japon, on ne sait pas trop. Comme l’actrice qui s’essaie (et réussit) avec une humilité émouvante au chant, nous sommes nous aussi perdus dans ce film. Les premières images, donc, nous montrent une chanteuse sur scène. On ne la reconnaît pas tout de suite, elle est en concert, coiffée différemment, la scène est à peine éclairée, on la dirait dans la brume, ou dans un rêve et c’est Marlene D. qui est ici invoquée.

Puis, dans le plan suivant, nous la reconnaissons répétant inlassablement, obstinément, courageusement. Film incantatoire, difficile d’accès, magique lui aussi comme Oxhide II (décidément, la Quinzaine est téméraire et courageuse, les spectateurs le seront-ils tout autant ?), volontairement lent et obstiné, il cadre pratiquement tout le temps Jeanne Balibar de manière étonnante, en diagonale, en contrejour, de profil, mais toujours vivante, inquiète, rieuse, agacée, pugnace. Jamais un film ne s’est autant à mon sens approché au plus près du travail d’un artiste, en l’occurrence une chanteuse en répétition ou en concert live (un peu à la manière d’Henri-Georges Clouzot avec Le Mystère Picasso, en 1956).

On savait que, par exemple, Arielle Dombasle chante merveilleusement. Mais elle le fait si naturellement, et avec un tel brin de nonchalance prétentieuse, que le spectateur n’est jamais vraiment étonné. On ne le savait pas encore pour Jeanne Balibar, à la voix chaude et modulée, avec cet accent un peu snob qui lui va pourtant si bien et que la professeur de chant, qui lui fait répéter Offenbach, va quelque peu et gentiment railler. Jeanne se découvre sous un jour tellement tendre et attentif qu’on a tout le long du film envie de la connaître, de la protéger. Une sorte de fébrilité retenue à la Barbara et elle a alors, dans ces moments, la voix qui part comme elle dans les aigus, et à d’autres une voix beaucoup plus grave, flirtant avec les couacs, comme Marlene Dietrich ou Ingrid Caven dans la sombre lumière enfumée d’un cabaret de Pigalle ou de Tokyo. Et de ce film de presque deux heures, peut-être parce qu’il est réalisé par un Portugais, Pedro Costa, à qui l’on doit O Sangue (Un Certain Regard, Cannes 1994), se dégage une mélancolie intense, une saudade qui, loin de nous plomber, donne envie de suivre encore longtemps la tournée de Jeanne. Bref, a star is born et surtout, Jeanne B., ne change rien.

Titre original : Ne change rien

Réalisateur :

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Durée : 100 mn


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