Rencontre avec Mathieu Amalric

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Mélancolique et drôle, flottante et décalée, la « Tournée » de Mathieu Amalric, récompensée par un Prix de la mise en scène à Cannes, sort en salle le 30 juin. Retour sur une interview festivalière, en guise de mise en bouche…

Enfouis dans son film, on pense d’abord à Fellini, pour les femmes girondes qui l’animent et le nourrissent : aux confins du burlesque et de l’érotisme oedipien, elles vont (peut-être) le réconcilier avec lui-même, qui sait ? Puis à Bob Fosse, pour le spectre mortifère qui hante, en marge de l’humour et de la tendresse, sa Tournée en forme de dérive. Et enfin à John Cassavetes, pour le rythme déambulatoire et mélancolique de son histoire. Pas mal…

Pourtant, ces belles références ont un peu trop l’aplomb, trompeur, des fausses évidences. Car lorsque l’on se retrouve – un jour de mai 2010 à Cannes – face à Mathieu Amalric, réalisateur, co-auteur et acteur principal de ce long métrage aussi foutraque que charmeur, on comprend très vite à quel point son quatrième film lui ressemble. Essentiellement. Flottant, nerveux, maladroit à force de doutes et de tensions, mais encore généreux, attentif à l’autre, joueur et joyeusement décalé. Qui d’autre, dans le cinéma français, pour investir un champ aussi singulier ? Comment, dès lors, se priver d’une interview, à la fois douce et débordée (par le bagout, irrésistible, des comédiennes du New Burlesque, à ses côtés) ? A son image, toujours. Trouble et troublante…


Si vous l’on vous dit Fellini, en guise d’ombre tutélaire, voire d’influence majeure pour votre nouveau film, vous répondez quoi ?

Je réponds non ! Parce que pour moi, tout a commencé avec un livre de Colette, L’envers du music-hall, que je traînais depuis longtemps dans mes poches. Je suis tombé amoureux de sa façon de raconter sa vie en tournée. Sa vie d’actrice, de pantomime, un peu scandaleuse à l’époque, égarée en province. Voilà, j’ai cherché des équivalents aujourd’hui, dans le striptease, dans la nuit, mais ça n’allait pas. On ne retrouvait pas son goût pour une provocation pleine de santé, cette liberté par le corps, en fait…

Une liberté qu’affichent, en revanche, les comédiennes américaines du New Burlesque !

Oui, c’est grâce à un article dans Libération que j’en ai entendu parler pour la première fois. Sur cette double page qui leur était consacrée, avec les photos, j’ai eu l’impression que Colette était là. C’était drôle et torride à la fois. Hors codes, aussi. Du coup, ça y était, c’était parti… Je suis allé les voir, à Nantes, grâce à Kitty Hartl, programmatrice de danse au Lieu unique : elle les a invitées pour la plupart. Et puis je suis allé voir des festivals, avec 150 numéros en trois jours. Et j’ai créé ma troupe, peu à peu…


On ne peut pas dire, pour autant, qu’un seul thème, par exemple celui de la féminité, traverse votre film…

Heureusement que l’on ne fait pas des films avec des thèmes… Ce serait ennuyeux ! Non, disons qu’ici ça parle d’un homme à la dérive, d’une famille d’adoption, d’une ode à la féminité sans doute… Oui, forcément, il y a des percussions incessantes d’un gros bordel dans ma tête (rires) ! Mais ça correspond à ce que je voulais au fond, entre le livre de Colette, l’article de Libération, et le suicide d’Humbert Balsan aussi, qui m’a fait prendre de plein fouet la fin possible de ce qui nous constitue… J’ai une grande fascination pour les producteurs, leur courage… Donc, avec tout ça, j’avais l’impression qu’on pouvait créer du désordre…

Est-ce la raison pour laquelle on croise pas mal de gens en uniforme dans Tournée, aussi bien dans le train qu’à l’hôtel… ?

Oui, à travers eux, je voulais parler de l’uniforme de la pensée, du corps et de l’esprit aujourd’hui. La vie est de plus en plus dure, les gens sont obligés d’obéir, sinon ils sont virés sur le champ. C’est quelque chose qui me fait très peur, le fait que la société oblige des gens à ne plus être humains.


Pour la première fois dans l’un de vos films, vous vous mettez en scène. Est-ce à dire que vous acceptez l’idée d’un autoportrait ?

En fait, trois semaines avant de commencer à tourner, je ne devais pas jouer. Enfin… tout le monde savait que j’allais le jouer sauf moi ! C’était devenu une blague, mais qui ne me faisait pas rire, parce que je cherchais vraiment… Et puis finalement, bon, je l’ai fait. Et je dois dire que lorsque l’on était tous ensemble dans le plan, on pouvait très facilement être des complices de fiction. C’est ça qui m’importait, les filles du New Burlesque sont des actrices extraordinaires.

Ce besoin de fiction, c’est parce que vous aviez peur, en quelque sorte, de réaliser un documentaire ?

Peur, non. Mais la question s’est posée sans arrêt, dès le scénario. C’est pour cela, par exemple, pour préserver l’énergie des filles, qu’on a eu l’idée de mettre en place une vraie tournée. Du Havre à Rochefort, et à Nantes, on a offert un spectacle gratuit aux gens, qui signaient une décharge. On n’aurait jamais pu se payer tous ces figurants ! Et, en même temps, j’étais obsédé par l’idée de ne pas faire un documentaire. Je voulais que ça devienne des personnages. Elles (et il, aussi, car il y a un acteur dans cette troupe) ont eu des instincts de réaction magiques ! D’ailleurs, il n’y a que dix-sept minutes de show dans le film, le reste du temps, elles et il jouent ! Et je dois vous dire que le premier montage du film faisait 3h15, tellement c’était extraordinaire…

 


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