Louise Bourgeois : l’araignée, la maîtresse et la mandarine

Article écrit par

Quand le documentaire vient appauvrir son sujet…

Un documentaire sur un artiste est toujours un objet complexe. Quel en est réellement le sujet ? Etablir une biographie filmée ou retracer son œuvre ? Qu’apporte le cinéma qui ne peut être dit dans l’exposition ou le catalogue ? Apporte-t-il réellement quelque chose de nouveau ? Ce n’est sans doute pas Louise Bourgeois : l’araignée, la maîtresse et la mandarine qui va révolutionner le genre.

En 1993, la critique d’art Amei Wallach et la documentariste Marion Cajori commencent une série d’entretiens avec l’artiste française Louise Bourgeois. Alternant les rencontres dans l’appartement de l’artiste, son atelier et durant ses expositions, le film se veut portrait d’artiste et image de l’œuvre. Sculpteur inclassable, Louise Bourgeois traverse le siècle et les courants artistiques en tirant sur les fils de sa biographie. Née en 1911 et débutant son activité artistique à la fin des années quarante à New York, elle avoue volontiers traiter exclusivement les mêmes thèmes et concevoir la sculpture comme un moyen de se connaître elle-même. Elle s’inspire de son enfance qui, dit-elle, est toujours très vivante en elle et de la colère qu’elle entretient à l’égard de son père. Colère qui la pousse à travailler, à construire plutôt que détruire.

De source autobiographique, l’œuvre de Louise Bourgeois n’est donc, malgré son immédiateté visuelle, pas facile à aborder. Le danger – et c’est le défaut majeur de ce documentaire – est de regarder les sculptures de l’artiste uniquement par le prisme de sa biographie, essentiellement autour de trois figures : l’araignée (la mère adorée), la mandarine (le père rejeté) et la maîtresse du père. Certes, ces éléments sont fondateurs des créations de Louise Bourgeois. Mais on attendait du documentaire, comme de tout ouvrage critique, une analyse plus poussée, ainsi qu’une mise en perspective historique d’une artiste qui voit défiler tout un siècle et donc naître et se succéder des décennies de mouvements et d’artistes. On nous présente bien une photographie de Louise Bourgeois datée des années cinquante la montrant entourée de l’avant-garde artistique new-yorkaise, ou on l’entend encore évoquer le souvenir du sculpteur Constantin Brancusi, mais il s’agit là de souvenirs personnels que le film ne cherche pas à rattacher à ses créations. Seule l’intervention des Guerilla Girls (exceptionnel groupe de femmes artistes activistes féministes) vient témoigner de l’importance de Louise Bourgeois sur les jeunes générations. Si la biographie d’un artiste peut être un élément important pour approcher son l’œuvre, il ne doit pas être l’unique point de vue. Ceci est d’autant plus troublant que le film nous met en garde contre ce risque au détour des paroles du critique d’art américain Robert Storr, qui affirme que le travail de Louise Bourgeois est loin de se limiter à son histoire personnelle et qu’il serait néfaste de l’y réduire.

Par ses cadrages, le documentaire ne permet pas toujours de bien comprendre son travail. Souvent, les pièces de l’artiste ne sont pas intégralement visibles, ou seulement vues de l’intérieur, notamment dans le cas des grandes installations du type des Cellules ou des Chambres. Si le film ne permet pas de fournir une image fidèle de l’œuvre (seule une appréhension directe le peut), il est d’autant plus difficile de s’en faire une idée lorsque celle-ci n’est que partiellement présentée. Dans le même esprit, l’usage gauche de la musique vient soit redoubler lourdement le discours, soit dramatiser inutilement l’ambiance des plans montrant les œuvres. Ainsi chaque apparition des Araignées (récente série évoquant en partie la mère de l’artiste) est accompagnée d’une utilisation lénifiante des paroles d’une chanson de Laurie Anderson : « So, hold me Mum ». Finalement, le plus dérangeant dans ce documentaire est qu’il finit par appauvrir le travail de Louise Bourgeois pourtant empreint d’une véritable charge émotionnelle. La fin s’illustre par un réel manque de pudeur. Les deux documentaristes viennent saisir les larmes de l’artiste évoquant son passé. Cela n’apporte rien. Cela n’éclaire ni plus son art, ni ne la rend plus humaine ou proche. Le seul sentiment qu’on peut éprouver, c’est de la gêne.

Etant donné le retard qu’il a mis pour reconnaître son talent (elle n’est en effet saluée comme artiste qu’à la fin des années soixante-dix, à soixante ans passés), le monde de l’art entreprend depuis une véritable et bénéfique campagne patrimoniale autour de la figure de Louise Bourgeois. Le film se place dans cette perspective. Mais il ne fournit malheureusement qu’une image très partielle et réductrice de l’œuvre. Plus à sa place en marge d’une exposition, espérons néanmoins qu’il pourra éveiller la curiosité des spectateurs pour une grande artiste.

Titre original : Louise Bourgeois: The Spider, the Mistress and the Tangerine

Réalisateur :

Acteurs :

Année :

Genre :

Durée : 100 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi