À n’en pas douter, Kassovitz maîtrise ce sujet à la perfection. Il réussit le pari de condenser dix jours d’évènements complexes, aussi bien au niveau historique, politique, culturel et humain, en deux heures d’un récit relaté avec didactisme, sans simplisme et sans jamais en perdre le fil. Et si la narration s’avère relativement linéaire, il tient le spectateur en haleine tout du long malgré un dénouement connu d’avance. Se basant sur le livre de Philippe Legorjus La morale et l’action, le réalisateur endosse lui-même les habits de ce capitaine du GIGN qui vécut les évènements au plus près, acteur clé peu à peu réduit au rôle de témoin impuissant. Trente gendarmes sont retenus en otages par un groupe d’indépendantistes kanaks dans une grotte reculée de l’île. Payant de sa personne en se portant volontaire comme otage pour ensuite faire office de médiateur, Legorgus va ainsi à la rencontre des Kanaks pour recueillir leurs revendications et calmer les velléités de la métropole à leur encontre. Peine perdue. À la demande de Paris et du ministre Bernard Pons, alors en charge de l’Outre-Mer, l’armée prend le relais sur l’organisation des opérations, alors que la gestion de ce type de crise revient normalement à la gendarmerie. Le tout dans le climat très tendu du scrutin présidentiel de 1988. En adoptant le point de vue exhaustif de Legorjus, le seul protagoniste à la fois au contact des ravisseurs et des autorités, Kassovitz évite les partis pris trop grossiers. Plutôt que de radicaliser son propos, il se concentre sur la mise en lumière des faits tout en dessinant habilement ce personnage pris entre deux feux, lui-même otage du contexte politique et des impératifs militaires qui se voit contraint de revenir sur sa parole.
L’Ordre et la morale
Article écrit par Vincent Brunelin
En s’emparant d’un épisode de notre histoire souvent occulté, Kassovitz fait oublier ses égarements hollywoodiens et signe un thriller politique efficace, reposant sur une mise en scène dense et un récit maîtrisé de bout en bout.