L’Invasion des profanateurs de sépultures

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« Ce qu’ils n’ont pas compris, c’est que le film parlait d’eux : ils n’étaient rien d’autre que des légumes vivants ! »

Perdu dans la riche filmographie du réalisateur Don Siegel et de ses pas moins de trente-six films, sans les courts métrages, on en trouve un qui fait presque tâche : L’invasion des profanateurs de sépultures, 1956. Entre un budget dérisoire, 382 200$, et la pression du studio de production Allied Artists qui contraint Siegel à offrir un happy end aux antipodes du ton du film, les choses ne semblent pas bien se profiler. Pourtant ,sa sortie est accueillie avec enthousiasme autant par le public que par la critique. Ce onzième métrage, unique du genre qu’il réalisera, inspiré d’une nouvelle de Jack Finney publiée en 1955 est une relique à la fois du film d’horreur et de science-fiction. Plus encore il est considéré comme l’un des modèles du body snatcher, genre de film dont l’intrigue repose sur l’impression que les gens autour de soi ne sont pas vraiment qui ils semblent être. Ayant eu droit à trois adaptations, c’est tout une génération de réalisateurs et réalisatrices qu’il aura inspirée.

 

Je préfère vous avertir tout de suite : le récit que vous commencez à lire regorge d’incohérences et de questions sans réponses …

Dans un hôpital psychiatrique de San Francisco bondé, un homme au vêtement froissé tente de faire entendre raison à qui veut l’écouter, ou non. Malgré son agitation et son air terrifié il soutient ne pas avoir perdu la raison et ce en dépit de l’invraisemblance de ce qu’il raconte. Selon lui des personnes venues d’ailleurs remplaceraient les habitants de la petite ville dans laquelle il habite, Santa Mira, par des copies conformes vides de toute émotion. Si cela semble confirmer son probable délire, l’homme qui se présente en médecin tente quand même d’expliquer de nouveau sa situation aux psychiatres. Notre héros, Miles Bennett, se lance alors dans le récit détaillé qui lui a valu son séjour parmi eux. On assiste ensuite au classique flashback relatant les faits de façon chronologique avec, quand nécessaire, la voix de Miles en off pour préciser un événement ou une pensée. Si le film ne brille pas par l’originalité de sa construction, il faut remettre en perspective que le rendu final de Siegel devait être le flashback en lui-même. Les scènes d’introduction et de clôture sont uniquement dues au studio de production. C’est en gardant cela en tête qu’on peut saisir au mieux le pourquoi de cette drôle d’impression de collage à contre sens lors de la résolution finale.

… Il s’achèvera sans beaucoup de précision …

Miles Bennett, fraîchement divorcé et de retour en ville, se rapproche de son amie de longue date Becky Driscoll, divorcée elle aussi. Miles se voit demander d’aider la cousine de Becky qui semble vivre une curieuse situation. En effet, elle est persuadée que son oncle n’est plus réellement son oncle et ce bien qu’il lui ressemble en tout point. Intrigué par les propos de la cousine, un confrère psychiatre lui confie qu’une dizaine de personnes ont commencé à raconter la même chose et que le tout serait sûrement une forme d’hystérie collective. À partir de ce moment-là, l’unique source de peur est l’esprit. En effet, malgré un titre équivoque, pas de zombies mangeurs de cerveau ici mais uniquement une paranoïa grandissante qui, pour un film sorti à la fin des années 50, ne va pas sans rappeler la guerre froide qui voit s’opposer les États-Unis et l’URSS. Miles et Becky – qui est présente uniquement comme intérêt amoureux ; ainsi qu’un couple d’amis sont gagnés par la peur d’un danger qu’ils sentent imminent, bien que personne ne semble vouloir leur faire de mal. Même les « envahisseurs » n’utilisent jamais la force ou la violence et se contentent de prôner à tout va les bénéfices de l’absence d’émotion et de l’uniformisation. Tout repose sur la peur de ce qu’on ne connaît pas et la peur de l’autre.

 

 

 … Tout n’y sera pas résolu, ni expliqué avec logique.

Miles, Becky ainsi que leurs amis Jack et Theodora se voient donc combattre un ennemi invisible. Presque à la manière d’enquêteurs ils tentent de comprendre comment les habitants se font posséder, qui en est à l’origine et pourquoi. Film de science-fiction et d’horreur par le thème abordé, L’invasion des profanateurs de sépultures emprunte pourtant en grande partie les codes esthétiques du film noir. Notamment avec des jeux de lumières donnant une place importante à l’ombre, cette façon d’emprisonner les personnages dans des endroits dont ils ne semblent jamais pouvoir sortir, et bien sûr l’usage de la voix-off. On pourrait tout aussi bien extrapoler sur le sujet du film en lui-même, qui bien que ne concernant pas un crime en tant que tel comme c’est le cas typiquement dans le film noir, aborde une de ses thématiques principales : le fatalisme. Il suffit de supprimer les rajouts du studio, soit ce happy end bâclé qui dénote en tout point avec l’ambiance du film et son déroulé pour assister à la tragédie d’une invasion inarrêtable.

L’ambivalence est le maître mot pour parler du film de Siegel. Avec un peu de recul même la paranoïa, l’élément principal, peut être comprise à contre sens. On peut y voir une certaine forme de moquerie cynique. C’est sans mal qu’il est possible d’interpréter le sous-texte de l’œuvre non pas comme une critique ouverte au communisme, ce que font nombre de film américain de l’époque, mais comme un ras-le-bol généralisé du système américain. En effet les personnages s’entraînent entre eux, créant ce sentiment de danger et de peur à l’extrême face à des êtres qui sont au final plus nombreux que dangereux. La moindre action de Miles est conditionnée par la projection de sa peur de l’inconnu, qui rend la moindre alternative qu’on lui présente inenvisageable. Tout le danger qu’il affronte est basé sur le vide.

 

 

Bien que la carrière de Don Siegel repose principalement sur ses réalisations de film d’action, cet ovni reste une pièce majeure dans sa filmographie. Non seulement l’œuvre vieillie extrêmement bien visuellement, mais plus encore le sujet qu’elle aborde est intemporel. Si l’on souhaite voir plus loin que la question des envahisseurs, on a une réflexion presque philosophique à la fois sur la peur de la différence, de l’inconnu et sur celle de ressentir. Ce sont des thématiques qui ont la particularité d’être transposables à toutes les époques et ainsi d’être d’actualité même plus de soixante ans après la sortie en salle du film. L’invasion des profanateurs de sépultures est à prendre pour ce qu’il est : un film qui, bien que maltraité, a beaucoup à offrir. C’est une œuvre versatile qui crée un lien unique et privilégié avec chaque spectateur par la liberté d’interprétation qu’elle offre à la personne qui la regarde.

Titre original : Invasion of the Body Snatchers

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Durée : 80 mn


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