Les Sentiers de la gloire

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Les Sentiers de la Gloire, ou une oeuvre moderne, humaine et profondément pacifiste.

11 octobre 1914. Campagne française, dans un lieu dit « La Fourmilière ». Entre deux glacis boueux, des corps sans vie jalonnent le sol et dessinent les contours de sentiers auxquels Kubrick donne très ironiquement le nom de « Sentiers de la gloire ». Le mot « Honte » siérait mieux aux portraits qui nous sont dressés. Les visages affables des poilus français tranche avec la décadence des élites. L’horreur de la guerre éclate, et son absurdité est d’avantage saisissante.

Le pacifisme est un thème omniprésent chez Stanley Kubrick. Contrairement à Fear and Desire, premier film que le cinéaste reniera lui-même, où un petit groupe de soldats luttent contre un ennemi symbolique, le cinéaste opte résolument pour une approche plus réaliste dans Les Sentiers de la gloire. Grâce à une photographie très brute, nous sommes confrontés, en même temps que les soldats, à toute l’horreur de la guerre, la scène d’attaque de la colline étant à ce titre d’une incroyable intensité. Les visages sont tristes, émincés, crispés, l’arrière fond sinistre, l’ambiance froide. Stanley Kubrick dessine la peur comme un tableau de Georg Grosz ou d’Otto Dix.

Pas étonnant dès lors que la sortie des Sentiers de la Gloire, en 1957, ait provoqué de vifs remous, en premier lieu en France où son propos jugé anti-patriotique fit scandale. Le film ne fut pas censuré par parties, mais tout bonnement interdit. Les détracteurs et les décideurs avaient en effet relevé, avec autant de vice et de mauvaise foi que d’intelligence, toute une série d’incohérences présentées comme rédhibitoires pour une sortie dans les salles françaises : une procédure judiciaire de type américain, un numéro de régiment qui n’existe pas, un code militaire anglicisé, bref de nombreux éléments destinés à légitimer le bannissement du film. Ainsi, Les Sentiers de la Gloire ne sortira en France qu’en 1975.

Bien évidemment, la volonté de Kubrick n’est pas d’entrer dans une approche documentaliste. Le récit emprunte ainsi nécessairement certains éléments fictifs, et son manque de précision historique, sur certains détails, est facilement à repérer. Mais derrière cette reconstitution historique parfois imprécise (sachant que de nos jours, personne ne se soucierait de cet aspect, et que les arguments utilisés à l’époque pour justifier l’interdiction de sortie seraient irrecevables), le cinéaste exprime des idées ô combien puissantes. Ce sont des valeurs intemporelles et universelles comme la paix, la justice et l’équité, qui sont dès lors exaltées.

Reprenant « l’affaire des caporaux de Souain », le récit est centré sur un fait dramatique. Surprenant certains de ses hommes à tenter de déserter, le général George Broulard ordonne de leur tirer dessus pour les stopper dans leur tentative de défection. Peu après cet incident, il intime un simulacre de jugement afin de sanctionner des soldats ayant refusé d’attaquer une position à l’évidence inaccessible. Plus que l’horreur de la guerre, c’est son absurdité qui est personnifiée à travers les traits du général George Broulard. Le masque du patriotisme et de la guerre glorieuse tombe, et c’est bien l’indignation qui s’abat sur cet homme dont le seul orgueil fait couler le sang de la honte.

Le procès symbolise le plaidoyer du metteur en scène contre les mécanismes aberrants de la justice militaire. La confrontation met aux prises un juge à la morale douteuse et aux argument fallacieux, qui n’est en fait qu’un officier choisi par les hauts décideurs pour son « patriotisme », et un colonel (incarné par le charismatique Kirk Douglas) certes impétueux et impulsif, mais idéaliste et profondément humain. Tout l’art du cinéaste est d’imprimer un rythme dans les échanges de points de vue qui permette d’éviter l’écueil de la démagogie et du manichéisme. De l’intensité, mais finalement beaucoup de sobriété.

Stanley Kubrick, âgé de 29 ans quand il réalise le film, reste essentiellement attentif à une photographie parfois ostentatoire, mais quoiqu’il en soit percutante. Alors qu’il aurait pu opter pour des procédés amenant la réflexion de manière sous-jacente, il privilégie une manière directe d’exposer ses idées. D’ailleurs, sur ce point, la vision critique du metteur en scène évoluera sensiblement dans Docteur Folamour mais surtout dans Full Metal Jacket, où la guerre trouvera une forme moins dynamique et évidente, plus froide, plus cynique et plus sourde. Les Sentiers de la Gloire reste avant tout un film en mouvement qui, s’il est traversé in extenso par un ton dramatique, dégage un souffle d’espoir et une énergie humaniste à travers le personnage interprété par Kirk Douglas.

Aujourd’hui, il est aisé et même évident de dépasser la polémique autour d’un patriotisme nié, qui se déchaîna à l’époque. Mais finalement, en replaçant ce grand film dans son contexte, on peut penser qu’il participa à une réflexion éclairant une prise de conscience collective particulièrement salutaire au sortir de la Seconde Guerre Mondiale.

Titre original : Paths of glory

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Durée : 86 mn


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