Les Enfants font leur cinéma

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A l’heure où les journalistes se préparent pour Cannes, des élèves de Seine-Saint-Denis se préparent pour un autre festival, riche en surprises et émotions : Les Enfants font leur cinéma (du 6 au 22/05).

Coup de projecteur sur cet événement en culotte courte, dans un entretien avec Dominique Mulmann, programmatrice du secteur jeune public, au cinéma Le Trianon de Romainville.

Depuis quand est né ce festival ?

Cetta année aura lieu la 14e édition des Enfants font leur cinéma, du 6 au 22 mai. Le festival existe depuis 1997.

Quelles sont les origines de cet événément ? Est-il étendu à toute la France ?

L’idée vient d’une personne, Malica Aït Gherbi, qui travaillait au cinéma Le Trianon de Romainville (93). Il est aussi le fruit d’une collaboration avec Dominique Privitéra, conseillère pédagogique sur la circonscription de Noisy-le-Sec (93). Elles ont eu l’idée de faire participer les enfants au cinéma. Ce projet s’effectue à travers le dispositif « Classe Image ». Au cours de l’année scolaire, les élèves ont plusieurs rendez-vous avec Le Trianon. Ils visitent le cinéma et sa cabine de projection. Les enfants participent également au concours d’affiche du festival. Avec leur enseignant, ils découvrent trois films pour un tarif de 2 €, par séance et par enfant. Par ailleurs, tous reçoivent une carte individuelle leur permettant de venir au cinéma, hors temps scolaire, avec un adulte, pour 2,50€ par personne, tout au long de l’année. Ce festival est spécifique au cinéma Le Trianon. Il n’existe pas ailleurs. C’est une invention locale mais l’événement commence à attirer l’attention. Je pense que c’est un projet qui va être exporté.

Quels en sont les objectifs ?

Les objectifs sont multiples. Ils dépendent du point de vue duquel on se place. C’est un festival qui engage plusieurs partenaires : Le Trianon et l’Education nationale. Notre but est de finaliser un projet qui s’effectue pendant le temps scolaire. L’objectif est aussi de faire sortir les enfants et les parents de leur quartier et de l’école. Nous voulons les amener à passer un moment agréable, ensemble et dans un autre contexte. Certains d’entre eux ignorent la présence même du Trianon, pourtant situé à proximité de leur domicile. En fait, le but est de les familiariser avec le cinéma. Quant aux enseignants, ils visent des objectifs de langage, de culture et de citoyenneté puisqu’il est question, pour les élèves, d’accueillir le public et de présenter une séance, lors du festival.

La participation des classes à ce dispositif est aussi une manière de responsabiliser les enfants. Pendant les séances, ils occupent des postes comme agent d’accueil ou de propreté, distributeur de programme, vendeur de confiseries dans la salle, présentateur, assistant-projectionniste… C’est l’occasion, pour eux, de vivre le cinéma d’une autre façon, en étant au coeur de celui-ci. Les élèves ne sont plus seulement des spectateurs, ils deviennent des acteurs. Cet investissement de leur part leur procure beaucoup de fierté. Le rôle qu’ils occupent dans le cinéma, le jour de leur séance, leur tient vraiment à coeur. Ils se montrent très appliqués et très professionnels ! Ce projet leur confère une véritable expérience. Le Trianon et l’Education nationale ont des objectifs qui se recoupent. Finalement, tout le monde s’y retrouve.

Comment le festival a-t-il évolué depuis sa création ?

Au début, le festival comportait seulement deux séances, présentées par deux écoles, l’une de Romainville et l’autre de Noisy-le-Sec. Le premier film était projeté le samedi soir et le second, le dimanche après-midi. Il s’agissait de King Kong et de L’Enfant sauvage. Petit à petit, il y a eu de plus en plus de « Classes Images » . A présent, on en compte vingt-et-une. Des centres de loisirs et des collèges y participent également. L’événement s’appelle « Les ados font aussi leur cinéma. » Aujourd’hui, nous bénéficions également davantage de moyens. Auparavant, il n’y avait qu’un poste à mi-temps pour le jeune public. Actuellement, il y a quasi deux temps-pleins. Cela nous permet d’agrandir les possiblités de travail avec les classes.

Programmer des films pour le jeune public était compliqué, autrefois. Le choix était restreint. On allait chercher un film iranien, ou alors le Disney de Noël. A présent, les propositions sont plus larges et plus intéressantes. En outre, nous disposons d’une belle salle, avec une scène qui nous offre la possibilité technique d’accueillir des spectacles, des ciné-concerts, de faire des projets d’envergure. La salle du cinéma Le Trianon est connue. Elle est classée monument historique (1).

Avec quels moyens cet événement est-il financé ?

Il est financé par les communes de Romainville et de Noisy-le-Sec, par la préfecture, dans le cadre de la politique de la ville, le CUCS (Contrat Urbain de Cohésion Sociale). Depuis deux ans, nous avons aussi un partenaire privé qui est la banque BNP Paribas. En général, je prévois deux ou trois projets coûteux. Après, c’est du bricolage comme la séance avec Popeye, « Ciné Musclé ». A cette occasion, nous avons fabriqué un chamboule-tout et prévu un concours de bras de fer. C’est rigolo et ça ne coûte rien ! On cherche des idées originales, sympa et pas chères.

Comment concevez-vous les séances ?

Au fur et à mesure de l’année, nous avons des propositions. Nous recevons des DVD, des liens vers des sites internet où des professionnels nous exposent leur travail et proposent leur collaboration. Cela nous permet de tisser des relations et ainsi, nous disposons d’une banque d’idées. Je les rassemble selon les projets des enseignants. Parfois, je sollicite des gens pour des créations ; parfois, les projets existent d’ores et déjà. C’est le cas du ciné-concert Méliès. J’ai alors contacté les professionnels pour programmer cette séance qui tombe à pic, puisque c’est le 150e anniversaire du réalisateur.

Quelles difficultés rencontrez-vous lors de la mise en place du festival ?

Il y en a beaucoup ! Pendant une période, il n’est question que de difficultés parce qu’il faut caler les séances, les déplacer… Il arrive que le festival se chevauche avec la Coupe du monde. Nous savons évidemment que les jours de matchs, les gens ne se rendront pas au cinéma.

Les difficultés résident également dans le choix des films. Nous faisons beaucoup d’aller-retour avec les enseignants. Certains veulent travailler sur un thème bien précis, par exemple, le voyage dans la Préhistoire. Il faut alors chercher des films en fonction de cela, des films encore peu connus pour garder l’intérêt du festival. Nous devons trouver une idée originale, qui plaise à la fois aux enseignants et aux parents, tout en tenant compte des moyens dont nous disposons.

Les obstacles se concentrent surtout entre mars et avril où c’est un vrai casse-tête chinois ! Le festival comporte quinze séances, chacune présentée par une ou deux classes et toutes doivent y trouver leur compte. Nous évitons la VOST car beaucoup de parents ne viendraient pas, étant donné qu’ils ne peuvent pas lire. Néanmoins, il y a des tentatives. La programmation de la 14e édition du festival comprend un film tchèque et sous-titré, Voyage dans la Préhistoire. C’est un film rare et il sera projeté bobine par bobine. La séance sera entrecoupée par quatre courtes pauses durant lesquelles les spectateurs pourront profiter de la venue d’un pianiste.

Vous travaillez avec les enfants, de l’école maternelle au CM2. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur cette expérience ?

Je suis fille d’instit’ et de ce fait, j’ai toujours baigné dans le milieu scolaire. Les expériences divergent beaucoup d’un enseignant à un autre et d’un élève à un autre. Parfois, je vais très loin avec des enfants de maternelle et parfois, je rame avec des élèves de CM1. J’aimerais davantage voir les classes, travailler plus longuement avec elles, pour aller le plus loin possible dans les projets. J’adore visiter les écoles et y expliquer l’organisation de l’événement. Les enfants vont au cinéma mais il faut aussi une réciprocité et c’est pourquoi le cinéma vient aux élèves, dans les classes.

Lors du festival, les enfants m’impressionnent beaucoup. Je ne fais pas grand-chose le jour J. Tout est suffisamment bien cadré à ce moment-là et moi, je ne fais que passer et veiller au bon déroulement de chaque séance. Les enfants sont toujours au top ! Les enseignants eux-mêmes sont très surpris par leurs élèves !

Quel est votre meilleur souvenir jusqu’à présent ?

Il y a eu beaucoup de bons moments. Mon meilleur souvenir remonte à il y a deux ans. J’avais vu par hasard un court-métrage, Nicolas et Guillemette de Virginie Tavarel et j’avais adoré la musique du film. J’ai alors pris contact avec la personne qui s’était occupé de la musique du court-métrage, Mami Chan. Je l’ai invitée au Trianon pour qu’elle fasse un concert, afin de lancer le film. Elle est venue avec son ami et tous deux ont fait un magnifique spectacle. Durant le film, Mami Chan a chanté. Les enfants étaient super contents et dansaient dans la salle. C’était tellement généreux et passionné de sa part !… Nous étions vraiment bluffés !

Quels seront les temps forts de l’édition 2011 ?

L’un des moments très attendus est le ciné-concert Méliès auquel participent ses descendants, Marie-Hélène et Lawrence Lehérissey (arrière-petite fille et arrière-arrière-petit-fils du réalisateur). Il y a aussi la séance consacrée à Parade de Jacques Tati. Une idée m’est venue en regardant le long métrage : j’ai proposé au distributeur de faire des animations dans la salle, pendant le film et il a trouvé l’idée géniale. Puis, en effectuant des recherches, je me suis rendue compte que ces animations collaient tout à fait avec la conception qu’avait le réalisateur de son film. Une sorte de « ciné-performance » sera organisée. Un peintre se trouvera dans la salle et exécutera un tableau du lieu, durant la séance. Un magicien et des comédiens seront également présents. Il y aura des ballons et les spectacteurs pourront quelque peu déambuler dans la salle. Ils vivront le cinéma autrement. C’est une invention donc il y a quelques appréhensions mais c’est aussi très excitant ! Beaucoup de belles surprises seront également au rendez-vous, pendant les autres séances !

Le festival se déroule en mai, comme celui de Cannes (du 11 au 22 mai). Est-ce un pur hasard ?…

Non, en fait, le Trianon va bientôt fermer pour travaux. Les années précédentes, le festival se déroulait au mois de juin. Mais, pendant le festival de Cannes, il tombe mal puisque tous les journalistes seront là-bas ! Certes, on est loin de Cannes, toutefois l’événement commence à être médiatisé ! Nous avons constaté qu’il attisait de plus en plus la curiosité. France 2 et France 5 ont réalisé un reportage sur Les Enfants font leur cinéma. Puis Le Parisien, Le Monde et Les Cahiers du Cinéma y ont consacré des articles.

Tarif unique : 2,50€. Programmation du festival et autres informations pratiques sur le site du Trianon : www.cinematrianon.fr/

Propos recueillis par Thavary Mam, mai 2011. Nous remercions Dominique Mulmann pour son enthousiasme et sa disponibilité.

 
 (1) Le cinéma Le Trianon est surtout connu pour avoir accueilli le tournage de l’émission culte La Dernière Séance, animée par Eddy Mitchell. Pour plus de précisions, voir notre article suivant : www.iletaitunefoislecinema.com/chronique/2605/la-derniere-seance


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