La belle boutique de l’horreur
Avec L’échine du diable, son troisième long métrage sorti en 2001, Guillermo del Toro illustre avec éclat le manifeste auquel il n’a jamais dérogé depuis : « Ce qui m’intéresse, c’est de faire en sorte que ce qui vous semblait terrifiant auparavant vous paraisse beau, magnifique et émouvant. » Commercialement estampé film d’horreur, ce récit de fantôme d’enfant mutilé qui vient hanter les nuits d’un pensionnat en sursis n’impressionnera évidemment pas les simples amateurs de sensations fortes, mais imprimera les esprits prompts à partager une flamboyante toile onirique. Laissant au placard les Jump Scare ou autres effets de genre, le réalisateur mexicain compose un univers où la sécheresse du réel côtoie la fluidité de l’imaginaire, où les nuits hors du temps ne sont pas plus mystérieuses et inquiétantes que les journées surchargées de soleil. L’esthétique de Del Toro célèbre la pénombre dans toutes ses nuances, dans toutes ses dimensions fantasmatiques. Les reflets, ombres chinoises et surimpressions s’animent comme des êtres composés de chair et de sang. La photographie travaille sur l’alchimie des couleurs pour donner corps et mystère aux éléments naturels. La forme de l’eau fascine par ses remous ocres et translucides. Les visages tuméfiés invitent à la compassion et le corps partiellement amputé de Carmen (Marisa Parèdes) reste Cet obscur objet du désir buñuelien. Les Freaks qui tentent de survivre ou de hanter les lieux paraissent bien moins menaçants que leur apparence laisserait imaginer.
Les prisonniers du désert
En posant ses valises dans le registre du fantastique et de l’horreur Guillermo del Toro arpente le terrain le plus propice à son imaginaire. Un univers inquiétant mais néanmoins rasséréné par des murmures de poésie ponctués par quelques envolées lyriques. L’enfermement, ressort dramatique inhérent au récit de demeures hantées, œuvre sans ambigüité pour une lecture métaphorique du drame. La mort qui rode dans le pensionnat est celle des victimes de la guerre d’Espagne, dont les bourreaux sont pourtant des membres de la même communauté. Dans une telle situation la vérité peut venir de plus loin, de plus haut. Du Ciel ? La croix du Christ et l’obus cloués au sol suscitent mysticisme et inquiétude. Les adultes qui sont libres de quitter le pensionnat ne sont pas en sécurité pour autant. Le désert de par son immensité et son hostilité réserve un horrible sort à certains d’entre eux. Pendant longtemps, l’intérieur reste la meilleure protection. À plusieurs reprises, un plan emprunté à La prisonnière du désert souligne la tentation réfrénée de l’extérieur. Jouant sur un magnifique contraste de luminosité, au seuil de la porte, dans l’ombre, le personnage appelé par l’incandescence lumière du désert ne franchit pas la frontière. Justement, Del Toro est un cinéaste qui sait s’affranchir de la notion de frontière. Celles des genres cinématographiques. Pour les travailler de l’intérieur, en imprégnant ses motifs à un registre aussi balisé que celui de l’épouvante, et de l’extérieur en mélangeant le western, le fantastique et le film de guerre au gré des aventures. Cinéaste Mexicain qui s’immerge aussi bien dans la culture européenne que dans les spectaculaires blockbusters hollywoodiens. » Les aventuriers » de ce genre ne sont pas légion dans l’univers cinématographique bien souvent trop confortable pour tous ceux qui y ont une place au soleil.