Le Refuge

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François Ozon signe ici un beau film sec – finalement bouleversant – non seulement sur la maternité et la transmission, mais aussi sur le manque. Thème forcément personnel à force d’être récurrent.

Et si toute l’œuvre de François Ozon, d’une rare profusion dans le paysage cinématographique français, ne parlait que de cela ? Du manque, et des efforts douloureux mais obstinés, magnifiques de vanité, pour le combler ? Onze longs métrages en 12 ans, tour à tour caustique, dérangeant, glamour, cruel, tragique, lyrique, épique, fantastique : c’est peu dire que le challenger hexagonal de Woody Allen, cet autre obsessionnel de la pellicule, ne renonce jamais ! Onze propositions, non sans panache ni plaisir, comme autant de tentatives pour calmer provisoirement cette fringale… d’amour. Et puis ce dernier ouvrage, Le refuge : l’histoire d’une toxicomane, qui apprend sa grossesse en même temps que la mort par overdose de son amant, et choisit de garder l’enfant. Cette fois on y est, sans détour.

De fait, c’est bien la ligne claire qui prévaut – apparemment – tout au long de ce film en forme de bascule. Le traitement de la lumière, d’ailleurs, est assez explicite. Sombre d’abord : confer les premiers plans, Paris, sa nuit électrique, artificielle, qui clignote derrière les fenêtres et se reflète dans la Seine, serpent opaque et palpitant, juste avant la scène en intérieur, glauque et concrète, du shoot. Puis éblouissante de blancheur triste – comme un linceul – à l’hôpital. Avant de passer à la froideur compassée, quasiment en noir et blanc, de l’enterrement (l’arrivée fardée, chavirée, colorée, de l’héroïne, comme une chienne dans un jeu de quilles, grand moment rock’n’roll). Pour, enfin, s’iriser et se réchauffer dans la blondeur estivale du pays basque, là-même où elle choisit de se réfugier.

Minimal

Oui, décidément, ce scénario ressemble à une épure, brassant des motifs connus, déjà visités par Ozon, mais comme débarrassés des audaces provocantes, voire des afféteries manifestes de certains de ses films précédents. D’accord, ça n’est pas le premier sur la maternité (Ricky pour mémoire), ni sur la perte et la transmission (Le temps qu’il reste), et certainement pas sur l’absence (Sous le sable, en guise de long métrage-étalon). Mais n’est-ce pas le propre de l’artiste que de fouiller, inlassablement, les mêmes thèmes ? Pour qu’enfin, peut-être, ils cessent de lui échapper… Le fait est qu’ici, la réalisation minimaliste du Refuge accompagne très justement l’apaisement progressif de Mousse, la jeune femme enceinte, qui, peu à peu, en se confrontant aux fêlures du frère de son amant disparu, le doux Paul, et en quittant chacun de ses refuges-cocons (la drogue, la maison, la grossesse), va s’ouvrir au monde extérieur et donc se réconcilier avec elle-même.

Certes, très concrètement, cette urgence modeste dans la manière était aussi dictée par la grossesse réelle de la comédienne, l’étonnante Isabelle Carré (dans un rôle d’une dureté inhabituelle, l’enfant du film étant d’abord un moyen de faire le deuil de l’être aimé). Et puis, la métamorphose de son corps, sa sensualité mystérieuse, sa rondeur « emplissent » bien assez l’image, physiquement et symboliquement, pour que le cinéaste ait besoin, par ailleurs, de « gras » supplémentaire. Mais n’y-aurait-il pas quand même, dans cette naissance plurielle (du bébé, bien sûr, et à travers lui celle de Mousse, puis de Paul, le frère adopté qui s’accomplit dans la paternité) comme une coïncidence avec le parcours du metteur en scène ?

Difficile d’évaluer le degré d’apaisement de François Ozon, aimable manipulateur qui n’aime rien tant que le jeu et les masques. Disons que Le refuge« mélodrame sec » dit-il, beau film elliptique, en équilibre précaire, et pour finir bouleversant, permet de mesurer clairement la force de son désir de transmission. Cela étant, l’homme est déjà en train de travailler sur son prochain « bébé », adaptation d’une pièce de théâtre. Le manque et ses élans, entre mensonges et vérités, ne sont visiblement pas près d’être comblés !

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