L’habit fait le moine.
Au milieu du XVII siècle, le prince héritier d’Henry VIII échange son costume avec celui d’un voleur qui lui ressemble trait pour trait. Cette farce qui ne devait durer que le temps d’un bal va prendre une toute autre ampleur, conduisant le gueux jusqu’au trône et le noble dans la fange. Mené tambour battant, riche en rebondissements et en rencontres farfelues, Le Prince et le pauvre est avant tout -du moins en apparence-un grand spectacle bon enfant. On retrouvera avec plaisir les figures gouailleuses et crades des « méchants » sortis tout droit de L’ile aux trésors (Victor Fleming , 1934, pour ne citer que cette adaptation). On s’identifiera à la bravoure du Capitaine Miles Hendon (Oliver Reed), comme on a pu le faire à maintes reprises pour les personnages au grand cœur interprétés par Errol Flynn. Non exempts de réalistes maladresses, réalisés avec le minimum de recours aux doublures et aux effets de montage, les nombreux exploits physiques du capitaine et ceux du jeune Prince nous redonneront nos jambes de vingt-ans. On rira sans gêne à cette farce qui flirte allégrement avec le grotesque pour produire ses effets. Il ne manque que les pop-corn pour accompagner ce foisonnement de plaisirs picaresques, le tout sur une partition frétillante de Maurice Jarre, dans des décors proches du décorum Disneyien. Sous la farce acidulée, ses déguisements et maquillages forcés, la fable acide pointe régulièrement son nez. Le facétieux esprit de Mark Twain (auteur du roman éponyme) mis en lumière par l’esprit non moins goguenard de Richard Fleischer. L’habit fait le moine, à partir du moment où le voleur pouilleux se pare des apparats royaux, l’autoritarisme et les caprices surgissent naturellement. Plus encore, les préjugés ont la vie dure dans les strates moins nobles : par le capitaine, et surtout dans la cour des miracles où le Prince est proprement pris pour un fou. Manier sans scrupules le verbe est une arme aussi redoutable dans les bas fonds comme dans les luxueuses demeures. Et l’outrecuidance, la paresse, la veulerie, la débauche sont distribuées en égale quantité dans chacun des camps. Sous forme d’apothéose dans le savoureux final.
Le roi Reed
Comme le rappelle Jean-Baptiste Thoret dans sa préface, après l’insuccès critique -et non commercial- de Mandigo (1975), Richard Fleischer, qui a déjà plus de trente ans de maîtrise derrière lui va être uniquement appelé pour jouer « les pompiers de service » dans des projets mal embarqués. Le réalisateur des Vikings (1958) et de L’Extravagant Docteur Dolittle (1967) réussit à donner une certaine cohérence au puzzle scénaristique, et à gérer de nombreuses contraintes, dont celle de composer avec une pléiade de stars pour particulièrement soigner l’affiche. Raquel Welch, joue les jolies utilités, Ernest Borgnine apporte sa lourde carcasse et sa langue bien pendue à l’ignoble père du jeune voleur, Rex Harrison, son flegme légendaire et son humour pince sans rire. Charlton Heston quasiment méconnaissable dans le corps d’un roi Wellesien. George C. Scott délicieusement retors sous le maquillage du Ruffian (roi des voleurs) édentés. Mais, le combat est gagné haut la main par un Oliver Reed, vieillissant et naturellement bedonnant, mais dopé par une fougue incessante. Sa conviction toute théâtrale donne tout le crédit à ce récit d’aventures, éclipsant au passage son protégé, le Prince joué par un assez fade Mark Lester, en vogue après son rôle titre dans Oliver! (Caroll Reed, 1968). Du bel ouvrage à savourer en famille.
Dans la collection Make My Day de StudioCanal, sortie fin janvier 2024.