Stéphane, 19 ans, étudiant en graphisme au Cégep du Vieux Montréal, se retrouve criblé de dettes puisqu’il dépense tout son argent dans les machines à sous. Il se résout à se trouver un job et commence alors à travailler dans les cuisines d’un restaurant chic-La Trattoria– comme plongeur. Même si cet emploi ne constitue pas la panacée financière, il constitue un honnête palliatif afin d’oublier momentanément son addiction au jeu et sa relation amoureuse défunte avec la charmante et empathique Marie-Lou. Notre jeune protagoniste rencontrera dans ce lieu un personnel truculent, anxieux, mais aussi ambigu.
L’une des qualités de la réalisation flamboyante de Francis Leclerc pour Le Plongeur se situe dans les détails. En effet, le réalisateur place quelques indices temporels indiquant au spectateur que nous sommes au début du millénaire (Stéphane sort un billet de cinéma du film Le seigneur des anneaux – Les deux tours de sa poche, des références à un passé proche mais déjà empreint de nostalgie : des concerts datant des années 1995-96; le fait de téléphoner dans une cabine). Certaines scènes demeurent spectaculaires : le plan séquence, en plongée, du début, surplombant la cuisine du restaurant, telle une vision olympienne ou digne de Dante des vivants qui y travaillent; la surimpression des symboles des bandits manchots sur le visage effaré de Stéphane; des ralentis subjectifs et fougueux sur des musiciens de métal ou les amis fêtards du pote Bébert. Outre ces vigueurs stylistiques, le son constitue l’acmé du travail de Leclerc. Non seulement pour la bande musicale, réunissant du Iron Maiden à du Neil Young et du Chemical Brothers, mais aussi des bruits, des silences, une ambiance sonore finalement bigarrée qui nous plonge dans ce chaos, cet enfer humain et professionnel.
Adapté d’un roman bien troussé signé Stéphane Larue, Le plongeur nous immerge dans plusieurs thématiques graves et pesantes, certes, notamment par celle concernant toutes sortes d’addictions (jeux, drogues, alcools). Néanmoins, le rire tire son épingle du jeu au cours de scènes parodiques (la rêverie concernant un remboursement facile des dettes de Stéphane, avec une tendance au bris du quatrième mur; l’anecdote de la dent cassée de Bébert lors d’une poursuite entre ce dernier et la police). La manière dont Francis Leclerc noue les liens entre certains membres du personnel qu’intègre Stéphane au restaurant est également fort habile. Le jeune plongeur partage avec Bonnie son amour de la musique (la qualité des différents albums d’Iron Maiden), trouve auprès de Greg une sorte de mentor (un Vautrin des années 2000), sans omettre Bébert, victime de son propre purgatoire, son possible miroir.
Le Plongeur dépeint avec finesse l’enchaînement, la variation, et la progression des addictions : arrêter les machines à sous pour Stéphane peut entraîner la naissance d’une autre dépendance, celle au baccara. Le casting est à l’aune de l’intensité filmique : Henri Picard incarne Stéphane de manière variée, nous attachant instantanément à son personnage en dépit de ses vices. Le casting apporte sa nouveauté, son intensité, sa fraîcheur : Charles-Aubey Houde en Bébert, Joan Hart en Bonnie, Maxime de Cotret en serveur digne des Affranchis, Jade Charbonneau en ex restant empathique dans certaines limites, Guillaume Laurin en cousin saint-bernard, et Luka Limoges en collègue fumiste et méprisant, contribuent, par leurs touches personnelles, à nous émouvoir, par l’humour, la colère, ou la tendresse.
Brillant exercice de style, ode paradoxale à la rédemption, film sonore, alliance de rires, de bruit, et de fureur, Le Plongeur nous touche, nous marque. Intense, subtil. Entre Molière, Scorsese, et Dante. Frais mais aussi revigorant comme une fin d’année où notre existence en croise d’autres, le temps d’une rencontre.