Le Nouveau Monde (The New World, 2005)

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Une escapade dans « Le Nouveau Monde » de Terrence Malick avec Pocahontas et John Smith. Une expérience visuelle et aérienne.

En parlant du dernier Terrence Malick, The Tree of life qui vient de repartir avec la Palme d’or 2011, les cinéphiles sont impressionnés par la prépondérance de la nature et la quasi absence de dialogue. Si beaucoup en sont étonnés, c’est peut-être qu’ils oublient les dernières œuvres ou tout simplement la filmographie de Malick. Déjà dans Les Moissons du ciel (pour lequel il a eu le Prix de la mise en scène à Cannes en 1979), son deuxième film, les personnages étaient "mangés" par les champs de blé. Mais The Tree of life, bien que dans un registre différent, rappelle les choix artistiques faits dans Le Nouveau Monde, le deuxième film historique de Terrence Malick sorti en 2005 : dans cette fiction de 2h16, le réalisateur américain revisite l’Histoire de la colonisation anglaise en Virginie, mais surtout celle de Pocahontas et de ses amours anglais – John Smith et John Rolfe – en lui donnant une dimension philosophique. Il ne s’agit pas uniquement d’une civilisation indienne bouleversée par l’apparition de colons sur les côtes de la Virginie en 1607, date à laquelle démarre le film, mais aussi l’ébranlement de leur rapport à la nature et à leur environnement par cette intrusion. Les premières images du Nouveau Monde témoignent de l’osmose de Pocahontas avec son milieu naturel qu’elle vénère. Toute sa vie sera marquée par une quête, celle du « visage de la Terre », mère nourricière. Quand les navires anglais approchent, déjà repérés par les autochtones, ils paraissent immenses et menaçants.

Le film de Terrence Malick, qui couvre une décennie entre les côtes virginiennes et l’Angleterre, se divise en deux époques bien distinctes, celle de sa relation avec le capitaine John Smith, incarné par Colin Farell qui a l’âge de son personnage (28 ans), et celle de son mariage avec le producteur de tabac John Rolfe (Christian Bale). Le premier l’aime sur ses terres, le second l’emmènera sur les siennes pour l’adorer. Smith est le côté solaire de Pocahontas, première apparition cinématographique de l’adolescente d’origine péruvienne Q’orianka Kilcher. La comédienne a environ 15 ans, soit environ trois ans de plus que son personnage. L’Anglais partage avec elle cette fusion avec la nature. Envoyé en émissaire pour négocier la paix avec le père de Pocahontas, Powhatan, chef de ses tribus indigènes avec lesquelles l’entente cordiale est rompue dès les premiers instants de la présence des hommes de la Virginia Company, John Smith est un homme en quête de réhabilitation. La rencontre avec les indigènes restaure l’âme de ce soldat promis à la pendaison et qui y échappe en arrivant sur les côtes virginiennes.

Deux hommes, deux époques

John Smith revit aux côtés de Pocahontas. Powhatan choisit de faire de sa fille un émissaire tout comme l’est le capitaine anglais. Mais ces médiateurs n’ont quasiment pas d’échanges verbaux, peut-être parce que dominés par leur dialogue intérieur – celle de la voix off, comme dans The Tree of Life – qui permet au spectateur d’appréhender leur psychologie et leur perception du monde. Cette absence de dialogue dans la première époque du film lui confère de la vraisemblance car John Smith ne comprenait pas la langue des autochtones – l’Algonquin, langue disparue à la fin du XVIIIe siècle, qui a été ressuscitée par Terrence Malick – tout comme eux ne maîtrisaient pas la sienne. Après quatre mois de cohabitation avec les indigènes, John Smith doit retourner chez les siens, dans la forteresse de Jamestown qu’ils se sont construite. C’est la débâcle à son retour : les hommes sont malades, affamés et remettent en cause l’autorité. Son arrivée est l’occasion d’une mutinerie et le camp lui est désormais confié. Mais son cœur est resté chez les indigènes. Son amour pour Pocahontas, qu’il doit maintenir secret, le submerge et provoque l’ire des colons sur lesquels il n’a plus d’autorité. Ses hommes décident d’ailleurs de faire de la princesse indienne une prise de guerre. Désormais prisonnière au fort, elle renoue avec John Smith en dépit de la colère qu’elle éprouve pour ses hommes qui l’ont arrachée aux siens. Rappelé pour de nouvelles missions, le capitaine quitte le fort et  fait croire à Pocahontas qu’il est mort. Le chagrin de la jeune Indienne, secrètement veuve, est immense. A Jamestown, Pocahontas vit un double drame : celui d’avoir perdu l’amour de sa vie et celui du bannissement prononcé par son père. Son affection pour l’Anglais l’a conduit à confier les semences de maïs, source d’autonomie alimentaire, aux ennemis de son peuple qui peinaient à survivre dans ce nouveau monde. 

Le souci de réalisme prégnant dans Le Nouveau Monde illustre parfaitement la méticulosité du mystérieux Terrence Malick. L’âge de ses acteurs sont ceux de ses héros, les dialogues en langue autochtone, la reconstitution des décors, notamment du fort à 25% de sa taille réelle par Jack Fisk, qui a participé à ses cinq  films, et le choix de la lumière naturelle en témoignent. Le directeur photo Emmanuel Lubezki est aussi celui de The Tree of Life. À cela s’ajoute le souci d’obtenir une image parfaite : Le Nouveau Monde a été tourné en 65 mm, d’où sa qualité exceptionnelle. Au cœur de sa mise en scène : la voix off. C’est là l’une des singularités de Terrence Malick en la matière. Il aurait, entre autres, renoncé à la réalisation du biopic sur le Che (Che sera finalement réalisé par Steven Soderbergh) que souhaitait produire Pierre Lescure (l’ancien patron de Canal Plus) parce que ce dernier trouvait « inapproprié » l’usage de la voix off pour un tel projet. Terrence Malick délaissera ce film en 2004 pour se consacrer au Nouveau Monde. La voix off est ce second niveau que Terrence Malick ne cesse de proposer dans ses œuvres. Il montre au spectateur quelque chose tout en lui demandant de porter son regard au-delà. Quand il n’insiste pas sur les expressions de ses acteurs, leurs regards, la caméra s’attarde sur l’immensité des espaces naturels de cette nouvelle terre. Dans la demeure britannique de Pocahontas, Terrence Malick essaie avec ses plans larges, de recréer cette impression, comme pour faire oublier à la princesse qu’elle a changé d’univers.

Auparavant, enfermée à Jamestown, c’est une autre femme qui rencontre John Rolfe. Il est fasciné par cette femme devenue Rebecca, décide de l’épouser et de l’emmener avec lui en Angleterre. La deuxième époque du Nouveau Monde est moins aérienne et les décors ont changé. La nature est balayée par les constructions des hommes aussi bien en Virginie qu’en Europe. Pocahontas était curieuse de connaître ce qui se trouvait derrière son monde. Elle le découvrira, parfois avec désenchantement, avec le fermier qui a reconnu l’amour et a souhaité le préserver – contrairement à John Smith voué aux regrets éternels. Comme le vrai amour échappe au capitaine, les choix esthétiques de Malick peuvent paraître sibyllins. La poésie du réalisateur américain est peut-être là : rester impénétrable comme Le Nouveau Monde qui, tout en se livrant, préserve la plupart de ses secrets. A l’instar de Pocahontas pour John Rolfe. Cerise sur le gâteau : Le Nouveau Monde de Terrence Malick , considéré comme un chef d’oeuvre,  est intrinsèquement à plusieurs dimensions quand l’Avatar de James Cameron, auquel on ne peut s’empêcher aujourd’hui de le comparer, se limite à ses trois dimensions. Le premier questionne, le second offre des certitudes.

Titre original : The New world

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Durée : 135 mn


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