Le Noir (te) vous va si bien

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Le trop discret Jacques Bral revient avec un film sobre, intelligent et sensible sur la condition des jeunes filles musulmanes écartelées entre tradition et liberté à la française.

Cinéaste surprenant, et peu productif ce qui serait plutôt un gage de qualité, Jacques Bral, après des films de style plutôt policier comme Extérieur nuit (1980), Polar (1984) ou encore Mauvais garçon (1993), revient avec Le Noir (te) vous va si bien dans le social puisqu’il traite ici avec intelligence et délicatesse de l’intégration des jeunes filles musulmanes dans la société française.

Déjà, il y a dans ce titre comme l’émergence d’une tragédie, on la sent sourdre ne serait-ce que par les mots, tout comme pour ce titre d’Eugene O’Neill, Le Deuil sied à Électre. Par sa narration claire et limpide, Jacques Bral entre en effet directement dans la tragédie lorsqu’on comprend que, dans la vie de cette jeune fille rangée, que son père déraciné et en souffrance oblige à se voiler, rien n’est simple et la soumission qu’apparente. Jacques Bral l’annonce lui-même : son film se contente d’observer la vie. Il est un faiseur d’images et non un moraliste, et encore moins un moralisateur. En effet, personne n’est ici coupable mais plutôt victime quelquefois consentante. Déjà, son titre tutoie et vouvoie à la fois le spectateur en entrant dans l’intime puis en se dépêchant de le mettre entre parenthèses, pour instaurer la distance du vous de politesse, ou du vous du pluriel.

Ensuite, c’est un titre qui annonce la couleur : le noir, celui du deuil, de la douleur et de la tragédie. Rien qu’au titre, en référence à celui de Truffaut emprunté lui-même à William Irish, "La Mariée était en noir", on sent bien qu’on entre de plain-pied dans une histoire qui va nous submerger par sa force. Ou son horreur. Quand on lui parle du choix de ce titre, Jacques Bral parle de poésie et annonce aussi que la phrase est justement prononcée dans le film par l’amoureux de Cobra, dans une scène du bar où il est serveur.

Construit comme un cercle qui s’ouvre et se referme sur lui-même, servi par des images magnifiques et une interprétation sobre et parfaite, le film a été repensé, selon Jacques Bral lui-même, au montage, puisqu’il a jugé nécessaire de placer en amorce quelques images fortes sur le père apparemment emprisonné et qui déclare qu’il n’aurait jamais dû quitter son pays. Ces quelques plans qui auraient dû n’apparaître qu’à la fin du film sont nécessaires pour faire rapidement comprendre l’intensité de la tragédie banale que nous allons vivre, et évite l’apparition souvent inopportune dans de nombreux films de flashes-back artificiels. « J’avais monté et mixé le film et quand j’ai fait des projections tests, je me suis rendu compte que deux ou trois scènes ne marchaient pas, même pour ceux qui aimaient le film, confie Jacques Bral dans le dossier de presse […] J’ai donc renforcé le début avec une tonalité plus dure, plus solide. »
 
 

 

Des images fortes, ponctuées de regards caméra, le film nous interroge profondément sur la nécessaire distance à instaurer entre racines, traditions et réel. Jacques Bral s’exprime en tant que structuraliste, c’est sans doute la force de ce film qui ne prend pas partie, mais provoque une intense réflexion. À ceux qui lui demandent pourquoi il s’autorise à mettre en scène une réalité qui pourrait lui être étrangère, on peut répondre que Jacques Bral est né en Iran et s’est installé en France en 1966. Il y retourna récemment pour se recueillir sur la tombe de sa mère et ce qui le frappa fut de voir toutes ces femmes de Téhéran habillées « comme des corbeaux », alors qu’il avait gardé le souvenir de jeunes filles vêtues à l’occidentale, et même plutôt en minijupes.

Dans le film, l’origine de cette famille n’est pas précisée, justement pour ne jeter aucun opprobre et rester dans le domaine des idées et non des conflits religieux. Aucune référence n’est faite à l’Islam, tout reste centré sur les rites sociaux d’une famille déracinée. La jeune fille, Cobra (magnifique Sofiia Manousha), rêve d’être comme sa mère, qui a épousé son père en toute liberté parce qu’elle l’avait choisi (superbe Lounès Tazairt). Comme le dit si bien le cinéaste : « Les filles n’ont jamais été aussi libres et aussi incontrôlables que depuis qu’on les a forcées à être cachées » ! Sauf si le grand frère s’en mêle (puissant Salim Kechiouche) et veut séparer les amoureux (Grégoire Leprince-Ringuet, qui s’affirme de plus en plus). Gérard Blain avait déjà montré la voie avec Pierre et Djemila (1987). Maintenant, on voit bien que les langues se délient surtout au cinéma. Dernièrement, Rengaine, de Rachid Djaïdani, pourtant traité de manière radicalement différente, était aussi basé sur le même thème.

Titre original : Le Noir (Te) Vous Va Si Bien

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Durée : 98 mn


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