Le fanfaron (1962)

Article écrit par

Réalisé en 1962 par Dino Risi, avec Vittorio Gassman (Bruno) et Jean-Louis Trintignant (Roberto), Le Fanfaron narre la virée rocambolesque qu´entreprennent deux hommes, deux inconnus que tout oppose.

C’est le 15 août, Rome est déserte et une voiture de sport décapotable roule en trombe dans les avenues silencieuses de la capitale ; à son volant, Bruno, qui cherche désespérément un bar ouvert.

Au détour d’un immeuble, celui-ci interpelle Roberto, un jeune étudiant timoré. À peine Bruno a-t-il pénétré l’appartement, simplement pour téléphoner, que le malheureux Roberto est happé par la tornade. Le rendez-vous de Bruno tombe à l’eau ?, qu’importe, c’est un “fanfaron” et la vie n’attend pas, pas même les chauffards, et Bruno n’oserait pas refuser de se faire payer un verre.

Le film de Dino Risi, dont le véritable protagoniste principal, Roberto, mène une existence quelque peu austère, absente de bien des plaisirs et distractions, consiste en un voyage initiatique où ce dernier, au contact de Bruno, va être amené à remettre en cause sa façon d’appréhender la vie et tenter de se libérer de sa timidité.

Comme d’autres films relatant un voyage initiatique, tels Dead Man, Le Fanfaron ne développe pas de véritable intrigue ; malgré cela, le film, constitué d’une succession de situations diverses, est bien rythmé et l’on ne s’ennuie pas une seule seconde. Son dynamisme doit d’ailleurs beaucoup au personnage de Bruno, magnifiquement interprété par Vittorio Gassman. Ce dernier, dont l’objectif semble se résumer à “s’amuser le plus possible”, est un homme séduisant, charismatique, d’une assurance insolente et beau parleur de surcroît. Ces caractéristiques rehaussées d’un sans-gêne monstrueux ainsi que d’un sens de l’humour puéril, voire graveleux, vous obtenez des dialogues croustillants et riches de renseignements quant à la caractérisation des personnages.

Si Roberto parle peu , l’utilisation de la voix off par laquelle nous percevons ses pensées, souvent à l’opposé de ce que sa timidité lui fait dire, permet de donner de l’épaisseur au personnage et rend compte d’un combat intérieur allant jusqu’à la remise en cause de la façon dont il vit et perçoit les choses.

Quant à notre fanfaron Bruno, si ses défauts sont plus qu’irritants, il n’en demeure pas moins un fin observateur, doté d’un solide culot et charmeur, atouts indispensables pour vivre aux crochets des gens tout en les faisant sourire, escroquer sans se faire poursuivre. Voir Bruno s’imposer aussi aisément malgré ses manières, voilà de quoi choquer Roberto qui, s’il n’ose pas s’opposer à lui ouvertement, n’en pense pas moins. Ce côté lâche, presque sournois de Roberto, finit par énerver tout autant que les manières parfois rustres et brutales de son compagnon de voyage.

Cependant, s’il essaye de fausser compagnie une ou deux fois à Bruno, Roberto semble finir par s’attacher à celui-ci, revenant de lui-même auprès du compagnon dont la fréquentation finira par faire ressortir chez lui un peu d’assurance.

Malgré tout, Roberto reste timide, trait de caractère lui faisant manquer des opportunités, notamment avec les femmes, qui semblent pourtant lui trouver du charme, alors que Bruno drague outrageusement toutes les jolies filles qu’il croise.

Pourtant, au fur et à mesure du film, on se rend compte que le comportement de Bruno n’est qu’une façade. Si ce dernier drague beaucoup, les résultats sont rarement au rendez-vous ; sa situation professionnelle semble incertaine, précaire, mais surtout, on se rend compte de son incapacité à réellement communiquer.

Tant qu’il s’agit de fanfaronner, blaguer, aucun problème, mais lorsque l’on touche au domaine de l’intime, c’est une autre paire de manches. Il suffit de voir comment il délaisse la seule femme qu’il réussit à charmer, ou la façon compulsive dont il gifle le fiancé de sa fille, réalisant son audace et sa maladresse. Parfois, le masque tombe, lorsque, saoul, on l’entend hors-champ révéler à Roberto qu’il n’a jamais eu de véritable ami, ou encore lorsqu’à moitié assoupi sur la plage il marmonne qu’il est un pauvre type.

Enfin, il y a la femme de Bruno, devant laquelle ce dernier s’efface complètement, apparaissant faible et immature face à cette blonde à l’air sévère et au caractère bien trempé.

 

On peut ainsi se rendre compte que le film traite largement de la personnalité, Bruno flambe pour cacher sa pudeur et une mésestime de soi, Roberto est timide et plus ou moins asocial. Et tandis que le premier tente d’adopter une attitude plus mature, le second essaye de se détendre un peu, mais ni l’un ni l’autre ne peut renier sa nature. Si le découpage du film est efficace, il est tout entier tourné sur les acteurs. Jouant parfois sur des intervalles brutaux pour mettre un élément de leur jeu en relief, la caméra sait aussi se faire oublier, réussissant à nous faire croire par instants qu’une parcelle de vie défile devant nos yeux.

Avec cette comédie au format original, D. Risi démontre qu’il a le sens du rythme, sait manier l’humour et insuffler la vie à ses personnages. La profondeur qu’il arrive à donner à ces derniers en montrant leurs qualités et leurs travers, ce qui souligne une véritable humanité, confère à cette comédie une poésie et une délicatesse rares.

Titre original : Il sorpasso

Réalisateur :

Acteurs : , , , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 105 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

« L’étrange obsession » autopsie sans concessions et de manière incisive, comme au scalpel ,la vanité et le narcissisme à travers l’obsession sexuelle et la quête vaine de jouvence éternelle d’un homme vieillissant, impuissant à satisfaire sa jeune épouse. En adaptant librement l’écrivain licencieux Junichiro Tanizaki, Kon Ichikawa signe une nouvelle « écranisation » littéraire dans un cinémascope aux tons de pastel qui navigue ingénieusement entre comédie noire provocatrice, farce macabre et thriller psychologique hitchcockien. Analyse quasi freudienne d’un cas de dépendance morbide à la sensualité..

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

« Les derniers jours de Mussolini » adopte la forme d’un docudrame ou docufiction pour, semble-t-il, mieux appréhender un imbroglio et une conjonction de faits complexes à élucider au gré de thèses contradictoires encore âprement discutées par l’exégèse historique et les historiographes. Dans quelles circonstances Benito Mussolini a-t-il été capturé pour être ensuite exécuté sommairement avec sa maîtresse Clara Petacci avant que leurs dépouilles mortelles et celles de dignitaires fascistes ne soient exhibées à la vindicte populaire et mutilées en place publique ? Le film-enquête suit pas à pas la traque inexorable d’un tyran déchu, lâché par ses anciens affidés, refusant la reddition sans conditions et acculé à une fuite en avant pathétique autant que désespérée. Rembobinage…