De tous les mystères que Conan Doyle a soumis à l’inébranlable perspicacité de son indéfectible limier Sherlock Holmes, Le chien des Baskerville est sans nul doute le plus célèbre de tous. Le succès du roman qui se perpétue de génération en génération, ses multiples adaptations pour le grand et le petit écran – plus d’une vingtaine – nous dispensent ici de rabâcher son intrigue aux fidèles de l’auteur, ou de gâcher le plaisir d’une découverte totale pour les moins nombreux d’entre nous. Les adaptations qui l’ont précédée, dont celle de la saga (quatorze titres ) qui a consacré Basil Rahtborne dans le rôle, ne pouvant bénéficier que du noir et blanc, quel meilleur hôte que La Hammer pouvait, à la fin des années cinquante, lui apporter du sang neuf par ses mythiques couleurs flamboyantes ? Après Frankenstein et Dracula, le studio anglais n’aurait su se priver de s’emparer de cette enquête qui prend ses racines dans l’épouvante.
L’ambiance de Hammer doit beaucoup plus à ses intérieurs fouillés et luxuriants qu’a ses extérieurs où une brume artificielle masque certes avec malice le manque de moyens qui pèse sur les productions. La lande, lieu maléfique qui ne doit jamais être fréquentée la nuit tombée sous peine de non-retour reste essentiellement hors-champ ,et les hurlements de la Bête qui hante ces lieux ne résonnent que modérément. Ce n’est pas non plus sa malingre apparition finale qui visera l’effroi. Cette utilisation à minima des effets spéciaux et autres effets éprouvés protège l’œuvre des rides du temps. La mise en scène des intérieurs révèlent bien plus d’inquiétudes. Le monstre le plus redoutable – voire le seul véritable – n’est pas le chien qui erre dans la Lande mais l’ homme qui l’a créé. Dans la scène de festivité qui revient l’origine du Mal – 1792 -, Terence Fisher transforme l’immense salon en un piège sans issue pour la victime de l’horrible Hugo Baskerville. Un véritable ballet satanique mené grâce à une virtuose maîtrise de l’espace. Une prouesse qu’il reproduira pour une situation quasi identique dans La nuit du loup-garou (1961). Autre caractéristique du style de Fisher, un montage sec et nerveux qui vient briser l’apparente banalité d’une situation originellement calme. Échanges brusques de regards, courtes mais perfides joutes oratoires, les règles de la bienséance Victorienne ne résiste pas aux pulsions de domination et aux refus des frustrations : l’impatience et le cynisme de Holmes, le mépris de classe de sir Henry, la rancœur du métayer sont autant de points de friction.
S’ajoute l’immense plaisir de retrouver les deux plus belles figures de la Hammer, Peter Cushing et Christopher Lee, dans un schéma qui rompt avec l’opposition habituelle chasseur de vampires et Prince des Ténèbres. Ici, en endossant le manteau de Tweed de Sherlock, Peter Cushing – malicieux à souhait – a pour mission de protéger le vulnérable mais toujours aussi magnétique Christopher Lee. N’oublions pas un autre membre appréciable de la famille Hammer, André Morell dans la peau du bon Docteur Watson. Dans son anthologie 100 ans de cinéma fantastique et de science-fiction *, Jean-Pierre Andrevon considère que Le chien des Baskerville est l’œuvre la plus aboutie produite par la Maison anglaise. Nos avis ne sont pas loin de converger sur ce point.
Le Chien des Baskerville. Sortie Blu-Ray chez BQHL. Fin Juillet 2024.
*100 ans de cinéma fantastique et de science-fiction. Editions Rouge Profond. 2013.