Le besoin de Vérité, de Liberté et d’Oxygène (le 22/11/2024 à L’atelier du verbe, rue Gassendi, Paris 14ème)

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Résistance cinématographique

En 2020, au terme du confinement, le dieu DemosCronos envoie le chevalier du temps (Alexandre Bellas) à la trace de celle qui fut surnommée « la vierge rouge » : la philosophe et résistante Simone Weil, née en 1909, soit 111 ans avant le début de la recherche du protagoniste.

Alexandre Bellas signe avec ce film une œuvre riche, intense, et accomplie. Les premières minutes laissent apparaître via une superposition d’images le maître du temps avec une double incrustation : celle, en premier lieu, d’un filet qui se tisse, et, dominant l’image, un ciel sombre et orageux surplombant une mer agitée. L’espace, le temps s’en retrouvent ainsi modifiés par son pouvoir. DemosCronos, par cette émergence, missionne le chevalier Alexandre, personnage récurrent des film d’Alexandre Bellas de retrouver les traces spirituelles voire, si possible, physiques, d’un symbole de recherche de vérité, de justice né en 1909 : Simone Weil.

Cette quête ne sera pas sans difficultés ou péripéties. Le chevalier se verra d’abord errer dans une forêt à l’allée linéaire, un long cheminement réflexif digne du début de la Divine comédie, au cours duquel la méditation du protagoniste devient blâme de notre société victime d’obscurantisme, de manque d’empathie, d’aliénation, savamment gérée par des politiques-non, des politiciens-plus âpres au gain, à la conservation de leurs prébendes et de leurs privilèges qu’à la gouvernance humaniste de leurs concitoyens. Notre chevalier, chantre de l’irénisme, lance alors un appel à l’esprit de « la vierge rouge », afin de fonder, de construire, un nouvel appel à la vérité, la justice, mais aussi à une forme de résistance.

 

Simone Weil lui lance en conséquence des signes, mais ne semble pas en premier lieu le joindre ou le rencontrer d’emblée. La pérégrination du chevalier débutera dans le 20ème arrondissement de la capitale, notamment au monument aux victimes des révolutions (1909, année de naissance de Weil), dans lequel il effectuera une tentative de résurrection de la philosophe en employant ses forces mentales voire spirites. Le spectateur devient par la suite un compagnon de la quête du chevalier, sur les traces de l’autrice de La Connaissance surnaturelle  (par exemple sur un lieu d’habitation rue Auguste Comte, où elle vécut une décennie) qui va lui lancer un défi tout en espièglerie : celui de le rencontrer réellement s’il trouve le monument parisien alliant une allégorie de la force populaire et celle de la liberté. Notre piéton de Paris, sous la surveillance de l’initiatrice de cette déambulation, va devoir dépasser son impatience pour arriver à bon port. Une fois la statue idoine dépistée, la jonction s’avère possible.

Le film continue sur une agréable promenade nous menant dans les lieux où Simone Weil (excellement incarnée par Mélanie Marc) effectua ses études secondaires et universitaires : au Lycée Henri IV (sous l’enseignement d’Alain et l’égide de Platon), puis à L’ENS, passant des heures d’écriture, de lectures et de pensées fulgurantes au sein de la Bibliothèque Sainte Geneviève, à proximité du temple de l’histoire comme des combats, le Panthéon. Alexandre égrène le chemin de vie de la philosophe en insistant sur son pragmatisme existentiel et philosophique : la lutte contre le faux (même en littérature), l’implication humaine et sociale via le travail en usine (afin de mieux cerner la problématique de l’aliénation par le travail). Une philosophie émanant d’un esprit libre que d’aucuns qualifièrent de « vierge rouge », par ses nombreux écrits engagés contre l’oppression sous toutes ses formes. Néanmoins, cette volonté de développer une métaphysique de la liberté n’empêchera nullement par la suite une ouverture vers le religieux, la spiritualité.

En 1942, vient l’engagement ultime : celui de Simone Weil dans les forces de la France Libre, à Londres, auprès de son ancien condisciple Maurice Schumann et du général de Gaulle qui considéreront davantage notre résistance comme un élément de pensée que d’action. Rédigeant un rapport pour ces autorités, Albert Camus éditera ce texte- Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain- sous le titre L’Enracinement. Mais l’incompréhension idéologique entre Simone Weil et De Gaulle (qui, en outre, lui refusera d’effectuer des missions sur le territoire français) débouchera sur une rupture doublée de complications physiques : tuberculeuse, affaiblie, la combattante spirituelle décédera à 34 ans, en août 1943. La fin de ce parcours biographique effectuée, le chevalier Alexandre se retrouve seul, désabusé, face à cette perte, une perte qui rejoint la cohorte des héros sacrifiés au cours des siècles.

Un sursaut interrompt cette mélancolie : devant un échiquier au beau milieu d’une rue de Londres, Alexandre récupère son énergie afin de constituer un hommage, une ligue, un groupe de forces et de pensées. Un nouvel appel à la résistance pour la vérité, la liberté, la justice, dans le but de terrasser les élites et autres oligarchies de la pensée : médias, finances, politiques. Une nouvelle ère reposant sur les bases d’une pyramide répondant aux notions et au luttes de la justice, la vérité, la liberté. Un triptyque défiant notre soumission face à l’iniquité, la pression, les exigences d’une faible représentation de la population sur nos concitoyens. Cet appel est lancé auprès des hommes et femmes de bonne volonté.

Œuvre puissante par la force de ses symboles, de ses protagonistes, de ses intentions, de ses propos où l’idéologie humaniste rejoint le lyrisme poétique et la science libertaire, Le Besoin de vérité, de liberté et d’oxygène prend de nouveau dans la merveilleuse filmographie d’Alexandre Bellas les allures d’un manifeste pour une société plus libre, ou d’un pamphlet contre les manipulations savamment mises en place et en ordre par nos gouvernants. Le filmage, efficace dans ses cadrages en intérieurs (ceux d’Henri IV, où tradition architecturale et modernité des moyens de connaissance cohabitent avec soin) et extérieurs (les abords des lieux tels que les bâtisses abritant les médias, aux architectures fréquemment aseptisées, sans âme), mais également dans ses trucages (surimpressions, incrustations, modifications des contours) et son montage (en plusieurs chapitres à la logique et la linéarité imparables), trouve par ailleurs d’autres formes de beauté dans ces endroits où les éléments se rejoignent en un seul plan (le bois, le minéral, l’inscription).

Film politique, militant, à l’esthétique subtile, à l’interprétation de qualité, Le Besoin de vérité, de liberté et d’oxygène vous procure un bain de jouvence face à un cinéma formaté, un appel d’air pur de cinéma.

 

Le Besoin de Vérité, de Liberté et d’Oxygène (projection unique le 22/11/2024 à L’Atelier du Verbe, rue Gassendi, paris 14ème).

Pour plus d’informations, et pour vous inscrire à la séance :

https://www.ab-sortir-decouvrir.fr/projection-lbdvdldo

 

Autres films d’Alexandre Bellas recensés par mes soins :

https://www.iletaitunefoislecinema.com/realisateurs/alexandre-bellas/

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Durée : 111 mn


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