La sauce était presque parfaite. 80 recettes d’après Alfred Hitchcock de Anne Martinetti et François Rivière
Photographie de Philippe Asset
Edition : Les Cahiers du Cinéma
«Au moment de choisir le sujet d’un film, je me sens à peu près dans la même situation que le gourmet qui doit composer un menu.» (Alfred Hitchcock, préface de L’inconnu du Nord- Express de Patricia Highsmith). Autant dire que le réalisateur anglais sait choisir les bons mets pour peaufiner un menu riche en rebondissements salés et en répliques croquantes. Grâce au livre La sauce était presque parfaite, le vocable culinaire se transpose en vocabulaire cinématographique et ne fait pas défaut. Le livre, écrit par Anne Martinetti et François Rivière, offre une relecture de l’oeuvre de Hictchcock par le biais de la cuisine et sollicite aussi bien le parcours personnel du cinéaste que la culture de ses films.
Aura internationale, Hitchcock a voyagé dès 1925 et ses équipes de tournage posèrent leurs caméras en France, au Maroc, à San Francisco et à New York. C’est sous cet angle que les deux auteurs optèrent pour la trame de cet ouvrage. Choix pertinent, ils évitent la linéarité filmographique, au profit d’un parcours mondial mêlant ainsi une optique culinaire en fonction des destinations, cinématographique et intime. De l’itinéraire d’un gourmand cockney aux voyages de Madame Alma et de son mari sur les côtes est et ouest des Etats Unis, les auteurs brossent le portrait d’un cinéaste trouvant l’inspiration et le réconfort dans la cuisine. Fils d’épiciers, le jeune « Cocky », comme le surnommaient ses camarades moqueurs, connut tôt la mise au ban. Solitaire, il trouva consolation dans les plats mijotés par sa mère et dans le théâtre anglais, dont il était un fin connaisseur. Passion du détail, de la mise en scène, de la création et du délice visuel, les films de Alfred Hitchcock restituent ce mariage invoquant les sens et les tripes.
Riches d’anecdotes, les articles présentés en amont de chaque partie corroborent l’abondant appétit du cinéaste, mais dévoilent aussi la pénombre de sa gourmandise. Tracassé par son physique disgracieux, il n’hésita pas à préciser, preuve à l’appui (il ouvra son veston et souleva ses bretelles) à la journaliste Blair Sabol, en visite dans leur résidence de Los Angeles, qu’il avait perdu 35 livres. Pour autant, le maître du suspens ne céda que rarement aux requêtes des studios, exigeant de lui un régime. Paradoxe et malaise qui se retrouvent dans l’accueil des critiques britanniques, ne lui accordant que tardivement la reconnaissance qu’il méritait. Hicthcock attribuait même cette méprise à l’égard de son oeuvre à son embonpoint.
Comme tout passionné, Hicthcock n’imposait pas de limites ; la cuisine était partout, dans son assiette comme dans son caractère. Humour tranchant, la farce qu’il entreprit à Vera Miles, remplaçante de Grace Kelly, tourna au vinaigre. En 1956, à l’arrivée de l’actrice, le cinéaste prépara un « dîner fantomatique » qui plongea l’actrice dans un tourment qu’elle ne pu dissiper lors du tournage. La cuisine et le cinéma s’entremêlent aussi bien dans le champ que dans le hors champ, accompagnant chaque tournage et malchances. En arrivant à Hollywood, un sujet sur le naufrage du Titanic lui fut proposé. Le projet tomba à l’eau mais l’anecdote restera. Hicthcock prévoyait une scène où le chef cuisinier finit de décorer un gâteau d’anniversaire. Heureux et fière de sa réussite pâtissière, le chef sourit mais à quoi bon… Personne ne goûtera à de tels délices.
Riche de photos de tournage, accompagné en pleine page des recettes, La sauce était presque parfaite est un ouvrage plaisant et agréable qui met en bouche pour la dvdthèque ! Désormais, les « plateaux-repas » ne seront plus concept incongru. Qui dit mieux qu’un « Corn Chowder » devant l’énigme de La maison du Docteur Edwardes, ou que le pique-nique au poulet froid que Frances Stevens (Grace Kelly) et John Robie (Cary Grant) savourent dans La main au collet ?