La Nuit de l’iguane

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Soleil de plomb et sentiments à vif sous la caméra de John Huston et la plume de Tennessee Williams.

Fidèle à son goût de l’aventure, John Huston instaurait un contexte explosif à la production de La Nuit de l’iguane afin de pouvoir créer toute la tension propice à cette adaptation fiévreuse de la pièce éponyme de Tennessee Williams. Le réalisateur embarque ainsi son équipe et trio de stars (Richard Burton, Ava Gardner et Deborah Kerr) loin du confort des studios, dans la zone portuaire alors sauvage (mais devenue un incontournable touristique grâce au film) de Puerto Vallarta surplombée par une jungle épaisse. À cela se mêle la présence sur le tournage d’Elizabeth Taylor accompagnant Richard Burton (et veillant sans doute au grain au vu de la présence de cette croqueuse d’hommes d’Ava Gardner) dont le couple, encore illégitime après les soubresauts de Cléopâtre (Joseph L. Mankiewicz ,1963), entraînera avec lui une armée de paparazzi, ajoutant encore à la tension ambiante sur le plateau. Huston, jamais aussi à l’aise que dans le chaos, calmera tout le monde avec humour en offrant à chacun de ces quatre acteurs un revolver en or contenant des balles gravées à leurs noms, cette solution extrême amusant tout le monde et détendant l’atmosphère. Ce contexte servit parfaitement le récit, intense et en huis clos.

 

 

Dans un hôtel isolé, en pleine moiteur mexicaine, différents personnages doivent faire face à leurs démons. En premier lieu Lawrence Shannon (Richard Burton), prêtre défroqué et déchiré entre sa foi, ses désirs charnels et son attrait pour la boisson. En proie à de violentes passions contraires, Lawrence tombe dans des accès de rage et d’hystérie épiques où Burton peut donner sa pleine mesure dans le registre excessif qu’on lui connaît, notamment lors de la mémorable ouverture où il craque face au regard accusateur de ses paroissiens ou encore quand le trop-plein d’émotions le pousse à marcher pieds nus sur du verre brisé, n’y tenant alors plus face aux assauts de la nymphette Charlotte Goodall – Sue Lyon à nouveau en tentatrice juvénile après Lolita (Stanley Kubrick, 1962). La problématique de Burton est la plus explicite, portée par l’exubérance de l’acteur, mais Huston s’y prendra de façon plus subtile avec celles qui complètent ce curieux triangle amoureux, Ava Gardner, son amour, et Deborah Kerr, sa conscience, Sue Lyon plus en retrait étant son désir et sa culpabilité. Loin de la beauté inaccessible qu’elle sut si bien incarner, Ava Gardner, mise en confiance par Huston, joue sans doute le personnage le plus proche de sa vraie personnalité. Garçon manqué durant son enfance et jusque dans la manifestation de sa féminité, Ava Gardner le sera resté une fois star hollywoodienne dans sa façon de jurer et de ne pas reculer devant les pires plaisanteries grivoises. Dénotant avec son aura glamour, cette nature et ce tempérament composites se retrouveront dans l’interprétation du personnage de Maxine Faulk, à la fois débraillée et rigolarde. L’actrice assume pleinement sa quarantaine entamée et sous l’excès apparent, distille subtilement au détour d’un dialogue ou d’un regard la profonde solitude de Maxine, son amour non avoué pour Larry, tout en laissant exploser sa sensualité lorsqu’elle s’abandonne aux bras de ses « boys« .

 

 

Face à ses deux monstres, Deborah Kerr s’illustre avec un personnage tout en retenue et en subtilité, qui a trouvé la paix et sera une béquille pour ses compagnons torturés. Mais si ce calme intérieur et cette compréhension la condamnent aux seuls plaisirs spirituels, c’est bien elle, Hannah Jelkes, qui s’allégera le plus simplement de sa croix avec la mort de son grand-père poète (Cyril Delevanti) trouvant enfin ses ultimes vers dans une scène magnifique. Huston confère une énergie formidable à l’ensemble, évitant constamment le théâtre filmé, grâce notamment à sa façon d’offrir toute latitude à ses acteurs, lesquels déclament librement les tirades passionnées de Tennessee Williams, ce malgré les situations parfois scabreuses et explicites qu’elles engendrent, à l’instar de cette scène où Ava Gardner est sur le point de mettre à jour l’homosexualité latente de Mrs Fellowes (Grayson Hall). Huston capte à merveille l’atmosphère nocturne, la moiteur ambiante et l’étrangeté de ce moment qui verra enfin chacun se révéler à lui-même. Lors de l’épilogue et alors que le jour point à l’horizon, on a quasiment l’impression de se réveiller dans un lieu tout différent : la détachée Deborah Kerr s’éloigne et sembler donner un futur possible à ses héros enfin apaisés.

Titre original : The Night of the Iguana

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Durée : 125 mn


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